Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/27

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Noggs secoua la tête.

« Alors, qu’est-ce qui est venu ? poursuivit M. Nickleby.

— Moi, dit Newman.

— Rien de plus ? »

En disant cela, le visage du patron se rembrunit.

« Ceci, dit Newman tirant doucement de sa poche une lettre, timbrée à la poste : « Strand : cachetée en noir, bordée de noir, une main de femme, C. N. dans un des coins. »

— Un cachet noir ! dit M. Nickleby en jetant un coup d’œil sur la lettre. Il me semble que cette écriture ne m’est pas tout à fait inconnue. Newman, je ne serais pas surpris que mon frère fût mort.

— Certainement non, vous ne le seriez pas, dit Newman tranquillement.

— Et pourquoi cela, monsieur ? demanda M. Nickleby.

— Parce que vous n’êtes jamais surpris de rien, répliqua Newman, voilà tout. »

M. Nickleby saisit la lettre des mains de son clerc, en fixant sur lui un regard glacial, l’ouvrit, la lut, la mit dans sa poche, et, ayant réglé sa montre à une seconde près, il se mit à la monter.

« Je le disais bien, Newman, dit M. Nickleby poursuivant son opération, il est mort. Eh bien ! voilà du nouveau, par exemple ; franchement, je ne m’y attendais pas. »

Après ces expressions touchantes de son chagrin subit, M. Nickleby replace sa montre dans son gousset, prend ses gants, les plisse soigneusement sur ses doigts, se remet en route, et se dirige à petits pas vers l’ouest de la ville, les mains derrière le dos.

« Des enfants vivants ? demanda Noggs en se rapprochant de son maître.

— Parbleu ! c’est bien là le hic, reprit M. Nickleby comme s’il avait justement l’esprit occupé d’eux en ce moment. Ils sont bien vivants tous les deux.

— Deux ! répéta Newman Noggs à voix basse.

— Et la veuve, donc ! ajouta M. Nickleby. Ils sont tous les trois à Londres, Dieu me pardonne ! tous les trois ici, Newman. »

Newman laissa son maître passer devant ; et l’on eût pu voir sa figure se contracter d’une façon singulière, comme par l’effet d’un spasme nerveux. Mais, quant à dire si c’était paralysie, ou chagrin, ou rire intérieur, il n’y avait que lui qui pût le savoir. En général, l’expression des traits est d’un grand secours pour deviner la pensée d’un homme ou pour traduire fidèlement ses