Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/282

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frère ; ne parlez pas ainsi, mon cher frère, vous me brisez le cœur. Mais, maman, dites-lui donc un mot. Nicolas ! ne faites pas attention à ce qu’elle dit : au fond, elle n’en croit rien. Mon oncle… quelqu’un, au nom du ciel ! parlez-lui donc.

— Mon intention, ma chère Catherine, dit Nicolas tendrement, n’a jamais été de rester avec vous ; j’espère que vous ne m’avez pas supposé cette lâche pensée. Il est possible que tout ceci me décide à quitter Londres quelques heures plus tôt que je n’avais pensé ; mais, qu’importe ! pour être séparés, nous ne nous en oublierons pas davantage l’un l’autre ; et il viendra des jours meilleurs où nous ne nous séparerons plus, ma Catherine, lui dit-il à l’oreille avec un sentiment de fierté. Oui, tu es une noble et tendre femme ; mais moi, il ne faut pas que je m’attendrisse aussi comme une femme, pendant qu’il a les yeux fixés sur moi.

— Non, non, je ne veux pas non plus, dit Catherine avec vivacité ; mais ne nous quittez pas. Oh ! pensez à tous les jours de bonheur que nous avons passés ensemble avant que le malheur vînt à fondre sur nous ; au bien-être, à la félicité de notre maison alors ; à nos épreuves d’aujourd’hui ; à notre isolement qui nous laisserait sans aucun protecteur contre tous les mépris et les entreprises qu’encourage la pauvreté. Non, vous ne pouvez nous laisser seules ici à en supporter le poids, sans qu’une seule main s’étende sur nous pour nous protéger.

— Je laisse ici pour vous, en mon absence, répliqua Nicolas sans hésitation, une protection plus puissante que la mienne, qui ne pourrait vous servir à rien qu’à accroître votre chagrin, vos besoins, vos souffrances. Ma mère même le sent, et les alarmes de sa tendresse pour vous me montrent mon devoir. Ainsi donc, Catherine, que tous les bons anges veillent sur vous, jusqu’à ce que je puisse avoir un chez moi où je vous emmène, pour y faire revivre le bonheur qui nous est refusé maintenant, et ne plus avoir à nous entretenir de ces temps d’épreuves, que pour nous féliciter qu’ils soient passés. Ne me retenez plus ; laissez-moi partir à l’instant. Là ! bonne fille ! bonne fille ! »

La main qui s’était cramponnée après lui se desserra, et Catherine s’évanouit dans ses bras. Nicolas resta penché sur elle pendant quelques secondes ; puis, la plaçant doucement sur une chaise, l’abandonna aux soins de leur fidèle amie.

« Je sais, dit-il en lui serrant la main, que je n’ai pas besoin de la recommander à votre sympathie, je vous connais, vous ne les délaisserez jamais. »