Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/307

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« Qu’est-ce que vous avez à nous donner pour souper ? fut naturellement la première question de Nicolas.

— Mais, ce que vous voudrez, » fut naturellement aussi la réponse de l’aubergiste.

Nicolas parla de viande froide, mais il n’y avait pas de viande froide ; d’œufs sur le plat, mais il n’y avait pas d’œufs ; de côtelettes de mouton, mais il n’y avait pas une côtelette de mouton à une lieue à la ronde. Ce n’est pas comme la semaine dernière, où ils avaient tant de côtelettes de mouton, qu’ils n’en savaient que faire ; mais, par exemple, après-demain ils allaient en avoir en quantité.

« En ce cas, dit Nicolas, ce que j’ai de mieux à faire, c’est de m’en rapporter entièrement à vous, comme je voulais le faire tout de suite, si vous ne m’en aviez pas empêché.

— Écoutez, voulez-vous que je vous dise ? reprit l’aubergiste. Il y a là, dans le parloir, un monsieur qui a commandé un pudding au filet de bœuf avec des pommes de terre, pour neuf heures. Il y en a plus qu’il n’en a besoin, et je suis presque sûr que, si vous lui en demandiez la permission, vous pourriez souper avec lui. Je vais m’en assurer tout de suite.

— Non, non, dit Nicolas l’arrêtant. J’aime mieux pas. Je… au moins… baste ! Pourquoi ne vous parlerais-je pas franchement ? Tenez ! vous voyez bien que je suis un voyageur de la plus humble catégorie et que j’ai fait tout le chemin à pied pour venir ici ; il est donc plus que probable que le monsieur aimerait autant se priver de ma compagnie, et, tout poudreux que vous me voyez, je n’en ai pas moins l’âme trop fière pour me jeter à sa tête.

— Mais, mon cher monsieur, vous ne savez pas que c’est seulement M. Crummles. Je vous réponds que celui-là n’est pas formaliste.

— Non ? dit Nicolas, qui n’était pas, il faut être franc, insensible au souvenir du pudding succulent, dont l’eau lui venait à la bouche.

— Certainement, répliqua l’aubergiste. Bien au contraire, je suis sûr qu’il aimera votre franchise. Mais nous allons en avoir bientôt le cœur net. Je ne vous demande qu’une minute. »

L’aubergiste se hâta donc d’entrer dans le parloir sans attendre l’autorisation de Nicolas, qui vraiment ne fit aucun effort pour l’en empêcher, considérant sagement que, dans la circonstance, un souper de plus ou de moins n’était pas pour badiner. L’aubergiste reparut en un moment avec une physionomie conquérante.