Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/312

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punch, et qu’il considèrerait son refus comme des plus désobligeants pour sa personne.

« Laissez-les aller, dit M. Vincent Crummles ; pendant ce temps-là nous allons passer tranquillement ensemble une bonne petite soirée au coin du feu. »

Nicolas ne se sentait pas très disposé d’ailleurs au sommeil. Il était si préoccupé ! Aussi, après une courte résistance, il accepta la proposition, et, après avoir échangé une poignée de main avec les jeunes Crummles, pendant que le père, de son côté, donnait cordialement la bénédiction du soir à Smike, il s’assit près du feu, vis-à-vis du gentleman directeur, pour l’aider à vider le bol annoncé qui fit bientôt son apparition, fumant d’une manière tout à fait réjouissante à voir, et exhalant le parfum le plus agréable et le plus séduisant.

Mais en dépit du punch, et même du directeur, qui ne tarissait pas en histoires divertissantes, tout en fumant sa pipe, dont il absorbait la vapeur avec une jouissance étonnante, Nicolas n’en était pas moins distrait et abattu. Ses pensées étaient ailleurs ; elles retournaient vers la maison paternelle, où il était heureux autrefois, et, quand elles revenaient vers sa condition présente, l’incertitude du lendemain l’accablait d’une tristesse invincible. Son attention errante ne l’empêchait pas d’entendre bourdonner la voix de son interlocuteur, mais elle le rendait sourd à ses paroles ; et, quand M. Vincent Crummles, à la fin du récit d’une longue aventure qu’il termina par un grand éclat de rire, lui demanda ce qu’il aurait fait en pareil cas, il fut bien obligé de s’excuser de son mieux, en confessant son entière ignorance de tout ce qu’on venait de lui raconter.

« Allez ! dit M. Crummles, je m’en étais bien aperçu ; vous n’avez pas l’esprit tranquille. Qu’est-ce que vous avez qui vous tourmente ? »

À un appel si direct, Nicolas ne put s’empêcher de sourire ; mais comment y échapper ? Il aima mieux avouer franchement qu’il avait des raisons de craindre de ne pas réussir dans le but qu’il s’était proposé en venant à Portsmouth.

« Et quel est ce but ? demanda le directeur.

— C’est de trouver quelque chose à faire pour nous faire vivre moi et mon pauvre camarade. Voilà toute la vérité ! aussi bien, il y a longtemps que vous l’aviez devinée ; je veux au moins avoir à vos yeux le mérite de vous la dire de bonne grâce.

— Qu’est-ce que vous pouvez trouver à faire à Portsmouth plutôt qu’ailleurs ? demanda M. Crummles en s’amusant à faire fondre sur le bord de sa pipe, à la chandelle, la cire dont