Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/319

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— Je le trouve admirable ! répondit la dame ; c’est une trouvaille, je vous assure. »

Comme Mme Crummles traversait le théâtre pour retourner à sa table, tout à coup on vit bondir sur la scène, par une ouverture mystérieuse, une petite fille en jupe blanche, avec des plis jusqu’aux genoux, un pantalon court, des sandales, un spencer blanc, un chapeau de gaze lilas, un voile vert, des papillotes ; elle fit une pirouette, deux entrechats, une seconde pirouette ; puis, en regardant à l’autre aile, poussa un cri, fit un saut en avant, à six pouces de la rampe, et s’abattit dans une attitude de terreur charmante, en voyant un gentleman mal mis, avec une vieille paire de pantoufles en peau de buffle, s’approcher à grands pas, grinçant des dents et brandissant sa canne d’un air féroce.

« Les voilà dans le Sauvage indien et la jeune fille, » dit Mme Crummles.

— Ah ! dit le directeur, le petit intermède en ballet ! Très bien, continuez. Rangez-vous un peu par ici, s’il vous plaît, monsieur Johnson. C’est cela. Allons ! »

Le directeur frappa dans ses mains, c’était le signal d’exécution. Le sauvage, devenu féroce, fit un chassé du côté de la jeune fille ; mais la jeune fille l’évita en six pirouettes, et à la dernière, elle tomba toute droite sur la pointe du pied. Cette évolution parut faire impression sur le sauvage, car, après s’être montré de plus en plus féroce et plus ardent à la chasse de sa proie dans les petits coins de la salle, il commença à se radoucir, et se donna plusieurs fois de petites tapes sur la joue avec les cinq doigts de la main droite, ce qui voulait dire, à n’en pouvoir douter, qu’il était frappé d’admiration de la beauté de la jeune personne. Sous l’influence de cette passion naissante, le sauvage commença à se donner de bons coups de poing dans la poitrine, et à faire toute sorte d’autres démonstrations d’un amour irrésistible ; mais ces procédés un peu prosaïques auront sans doute été cause que la demoiselle tombait de sommeil. Soit que ce fût là la raison, soit qu’il y en eût une autre, la voilà toujours qui tombe de sommeil. Pendant qu’elle dort comme une souche, sur un banc de gazon, le sauvage qui s’en aperçoit penche son oreille gauche sur sa main gauche, et hoche de la tête, pour faire savoir à tous ceux qui peuvent s’y intéresser qu’elle est bien réellement endormie, et qu’elle ne fait pas semblant. Pendant qu’il est ainsi livré à lui-même, le sauvage exécute une danse à lui tout seul, et juste à son dernier pas, la jeune fille s’éveille, se frotte les yeux, quitte son banc, et se met aussi à