Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/332

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meurer dans un méchant logement, où je n’ai pas de gages et où je fais du sentiment ?

— Vous l’avez deviné, dit Nicolas ; c’est justement là le programme.

— Oui, mais de manière ou d’autre, il me faut une danse, vous savez, dit M. Folair ; et, comme il vous en faudra une aussi pour le phénomène, vous auriez plus tôt fait de faire un pas de deux.

— Il n’y a rien de plus facile, dit M. Lenville en remarquant l’air effaré du jeune auteur dramatique.

— Ma foi, je ne vois pas du tout comment cela peut se faire, reprit Nicolas.

— Comment ! cela ne va-t-il pas tout seul ? continua M. Lenville ; vous avez donc la berlue, de ne pas voir la chose ? Vraiment, vous m’étonnez. Vous avez installé la dame infortunée, son petit enfant et son fidèle serviteur, dans un pauvre logis, n’est-ce pas ? Eh bien ! raisonnons un peu. La dame infortunée tombe dans un fauteuil : elle se cache la figure dans son mouchoir. « Qu’est-ce qui vous fait pleurer, maman ? dit le petit enfant. Ne pleurez pas, maman, ou vous allez me faire pleurer aussi. — Et moi aussi, dit le fidèle serviteur, se frottant les yeux avec sa manche. — Qu’est-ce que nous pourrions donc faire pour relever votre courage, chère maman, dit le petit enfant ? — Oui, qu’est-ce que nous pourrions faire ? répète le fidèle serviteur. — Ah ! Pierre, dit la dame infortunée ; je voudrais bien pouvoir secouer ces pensées pénibles. — Essayez, madame, essayez, dit le fidèle serviteur. Courage, madame, amusez-vous.

— Oui, j’y suis résolue, dit la dame, je veux m’apprendre à souffrir vaillamment. Vous rappelez-vous, mon honnête ami, cette danse, qu’autrefois, dans des jours plus heureux, vous dansiez avec ce cher petit ange ? Elle n’a jamais manqué de calmer ma douleur. Ah ! je veux la voir une fois encore avant de descendre au tombeau. » Voilà. L’orchestre prélude Avant de descendre au tombeau, et en avant le pas de deux. Rien de plus naturel, n’est-il pas vrai, Tommy ?

— C’est cela, répondit M. Folair ; la dame infortunée, en proie à ses vieux souvenirs, se trouve mal, quand la danse est finie, et la toile tombe sur ce tableau. »

Grâce à ces conseils, ou plutôt à ces leçons, fruit d’une longue expérience personnelle de ses deux collègues, Nicolas, après leur avoir donné à déjeuner de son mieux et s’être débarrassé d’eux, se remit avec succès à l’ouvrage ; charmé de reconnaître que sa tâche n’était pas, à beaucoup près, aussi difficile qu’il l’avait cru