Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/341

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du phénomène, qui avait eu la discrétion de rester jusque là dans la chambre à coucher, et qui se présentait enfin, avec beaucoup de grâce et de vivacité, portant à la main une très petite ombrelle verte à large frange ; la poignée du manche était absente. Après quelques mots sans intérêt, ils sortirent tous les trois dans la rue.

Le phénomène était un camarade de route assez incommode. Ce fut d’abord sa sandale qui lui sortit du pied droit, puis après cela du pied gauche ; puis, quand on eût réparé ce double accident, ce fut une jambe du petit pantalon blanc qui se trouva plus longue que l’autre. Ensuite, ce fut le tour du petit parasol vert à tomber par un grillage d’où il fallut le repêcher, avec de grandes difficultés et de grands efforts. Encore, c’est qu’il n’y avait pas moyen de la gronder, c’était la fille du directeur. Aussi Nicolas prit tout cela de bonne humeur, et se remit en marche, bras dessus, bras dessous, d’un côté avec Mlle Snevellicci, et de l’autre avec l’enfant terrible.

La première maison vers laquelle ils dirigèrent leurs pas était située sur une terrasse dont l’apparence annonçait des gens comme il faut. Au toc toc modeste de Mlle Snevellicci répondit un valet de pied qui, après lui avoir ouvert, l’entendant demander si Mme Curdle était chez elle, ouvrit de grands yeux, fit toutes sortes de grimaces, et finit par dire qu’il ne savait pas, mais qu’il allait voir. En même temps il les fit entrer dans un parloir où il donna le temps aux deux servantes de la maison d’aller voir, sous un prétexte ou sous un autre, les comédiens. Enfin, après avoir échangé leurs observations dans le corridor, après bien des chuchotements et des ricanements, il se décida à monter chez madame, pour lui porter le nom de Mlle Snevellicci.

Il est bon de savoir que les gens bien informés à Portsmouth regardaient Mme Curdle comme un parfait échantillon du goût de la capitale en matière de littérature dramatique. Quant à M. Curdle, il avait fait une brochure de soixante-quatre pages, petit in-8e, sur la moralité de feu le mari de la nourrice de Juliette dans Roméo, en réponse à cette question : Si c’était réellement en son temps un « bon vivant, » comme l’avait prétendu le poète, ou si cette critique déguisée ne venait pas plutôt d’une injuste prévention de sa veuve. Il avait, par la même occasion, démontré que l’on ne pourrait changer la ponctuation reçue de toutes les pièces de Shakespeare, sans les altérer notablement, et même sans en dénaturer le sens. Inutile de dire, par conséquent, que c’était un savant critique, un penseur original et profond.