Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/402

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même surprise de vous entendre, plus surprise que je ne saurais dire.

— Je vous ai toujours considérée, dit Mme Wititterly, comme une jeune personne d’une tenue satisfaisante pour la classe à laquelle vous appartenez, et, comme vous avez la fraîcheur de la santé, que vous vous habillez proprement, et ainsi de suite, je me suis intéressée à vous, je m’y intéresse même encore, c’est un devoir que je crois avoir rempli par considération pour cette respectable dame, votre mère. Voilà les raisons, mademoiselle Nickleby, pour lesquelles il faut que je vous dise, une fois pour toutes, et je vous prie de ne pas l’oublier, que j’insiste absolument pour une réforme immédiate dans votre ton hardi avec les gentlemen qui viennent me voir. En vérité, ce n’est point du tout un ton convenable, ajouta-t-elle en abaissant sa paupière sur ses chastes yeux ; c’est indécent, tout à fait indécent.

— Ah ! s’écria Catherine, levant les yeux au ciel et joignant les mains dans son angoisse, n’est-ce pas aussi une épreuve trop cruelle, trop horrible à supporter ? N’était-ce donc pas assez de souffrir, comme je souffrais, nuit et jour ? d’avoir presque perdu l’estime de moi-même à mes propres yeux, en me voyant en contact journalier avec de telles gens ? Il me manquait encore d’avoir à subir une accusation si injuste, si mal fondée !

— Vous aurez la bonté de vous rappeler, mademoiselle Nickleby, dit Mme Wititterly, qu’en vous servant des termes : injuste, mal fondée, vous avez l’air de m’accuser de dire des choses qui ne sont pas vraies.

— Si je vous en accuse ! dit Catherine avec une honnête indignation. Ah ! que vous me fassiez de pareils reproches, spontanément ou parce qu’ils vous sont soufflés par d’autres, peu importe : ils n’en sont pas moins faux, de la fausseté la plus vile, la plus basse, la plus grossière. Quoi ! il est possible qu’une personne de mon sexe, qui ne m’a pas perdue de vue un moment, n’ait pas remarqué les tourments que j’ai endurés de la part de ces hommes ; il est possible que vous, madame, vous ayez pu être là, toujours présente, sans remarquer la liberté insultante que trahissait chacun de leurs regards ! Il est possible que vous ayez fermé les yeux, pour ne point voir que ces libertins, sans aucun respect pour vous comme pour eux-mêmes, au mépris des lois de l’honneur et de la décence même, n’ont eu qu’un but en s’introduisant dans votre maison, celui de sacrifier à leurs abominables desseins une pauvre fille sans amis, sans protecteurs, qui, au lieu de se croire réduite un jour à cette confession humiliante, devait au moins espérer de votre âge, si différent du