Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/414

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conds emplois, et, au lieu d’avoir tous les soirs une réception comme autrefois, on ne s’est pas plus occupé de lui que s’il n’existait pas.

— Que voulez-vous dire par là, une réception ? demanda Nicolas.

— Par Jupiter ! s’écria M. Folair, il faut, Johnson, que vous soyez le pastoureau le plus naïf. Mais, une réception, c’est un applaudissement général de la salle quand vous entrez en scène. Si bien donc qu’il faisait tous les soirs ses entrées sans voir seulement deux mains se lever en sa faveur, tandis que vous, vous avez toujours deux salves d’applaudissements au moins, quelquefois trois ; tant qu’enfin le désespoir l’a pris, et pas plus tard qu’hier au soir, il a eu presque envie de jouer son rôle de Tibalt avec une vraie épée, pour vous découdre le casaquin ; pas un coup dangereux, mais tout juste assez pour vous mettre sur le flanc pendant un mois ou deux.

— Merci de la précaution, dit Nicolas.

— Moi, je pense, dit M. Folair du plus grand sérieux au monde, vu les circonstances, que cela pouvait se faire, car il y allait de son honneur d’artiste. Mais enfin le cœur lui a manqué ; et alors il s’est mis à chercher quelque autre moyen de se venger de vous et de se rendre lui-même populaire, car c’est là l’affaire : se faire connaître, il n’y a que cela. Dieu de Dieu ! s’il vous avait pincé, dit M. Folair s’arrêtant pour faire un petit calcul mental ; cela lui aurait rapporté… oh ! oui, cela lui aurait bien rapporté dix ou douze francs par semaine. Toute la ville serait venue voir l’acteur qui aurait presque tué un homme par mégarde. On me dirait que cela lui aurait valu un engagement de Londres, que je n’en serais pas étonné. Enfin il a donc été obligé d’aviser à d’autres moyens pour rentrer dans sa popularité, et il s’est arrêté à celui-là. Ce n’était réellement pas une mauvaise idée : si vous faisiez une reculade, il vous tirait le nez et le faisait mettre dans le journal ; si vous lui intentiez un procès, le procès était mis aussi dans le journal, et, dans l’un comme dans l’autre cas, il faisait parler de lui autant que vous : vous comprenez ?

— Certainement, dit Nicolas. Mais renversons la question et supposons que ce fut moi qui lui tirasse le bout du nez, qu’en dites-vous ? était-ce là pour lui un moyen de faire fortune ?

— Ouais ! répliqua M. Folair en se grattant la tête, je ne pense pas ; ce ne serait pas très romanesque, et le moyen ne serait pas bon pour se faire connaître favorablement. Mais, à vous dire vrai, il n’a pas compté là-dessus. Votre ton dans la