Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/426

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en route ; je vous laisse à penser si ce fut sans de continuels éclats de rire de ces dames, qui ne cessaient de protester qu’elles n’avaient jamais vu, de leur vie vivante, un si méchant homme ; jamais !

Toutes ces plaisanteries abrégèrent bien le chemin. Ils arrivèrent à la maison du tailleur en moins de rien ; la société se trouva assez nombreuse pour simuler une petite soirée, car il y avait déjà M. et Mme Lillyvick, et non seulement la maman de Mlle Snevellicci, mais aussi son papa, et quel papa ! Comme c’était un bel homme, M. Snevellicci ! un nez crochu, un grand front blanc, décoré d’une chevelure noire toute frisée, de grosse pommettes bien saillantes ; enfin, au total, une figure magnifique, n’étaient les bourgeons dont elle était couverte : et encore peut-être n’était-ce que l’effet de la boisson. Il avait une poitrine large, le papa de Mlle Snevellicci, et par-dessus, un habit bleu râpé, boutonné, bien serré avec des boutons dorés. Il n’eut pas vu plutôt entrer Nicolas dans la chambre, qu’aussitôt il passa les deux premiers doigts de sa main droite entre les boutons du milieu, et plantant avec grâce son autre bras sur sa hanche, il avait l’air de dire : « Maintenant vous voyez, mon petit damoiseau, que vous avez à qui parler. »

Tel était le papa de Mlle Snevellicci, telle était son attitude quand il reçut Nicolas ; on reconnaissait tout de suite un homme du métier. En effet, c’était un véritable enfant de la balle. Il avait commencé par jouer, dès l’âge de dix ans, les diablotins, dans les pantomimes de Noël. Il savait un peu chanter, un peu danser, un peu faire assaut, un peu jouer sur la scène, un peu tout faire, mais rien qu’un peu. Quelquefois on l’avait vu figurer dans les ballets, quelque fois dans les chœurs, sur tous les théâtres de Londres. Sa tournure lui avait toujours valu d’être toujours choisi pour jouer les militaires en visite ou les seigneurs muets (vous savez, de ces gentilshommes qui sont bien habillés, et qui viennent, bras dessus, bras dessous, avec une petite dame à l’air égrillard, aux jupons courts) ; et il jouait ces rôles avec tant de naturel, qu’on avait vu plus d’une fois le parterre faire bravo dans l’idée que c’était véritablement quelqu’un qui entrait en scène. Voilà donc le papa de Mlle Snevellicci. Il ne nous reste plus à dire que quelques petites choses pour le faire connaître ; par exemple, que ses envieux lui faisaient la réputation de rosser de temps en temps la maman de Mlle Snevellicci, qui elle-même dansait encore, avec une petite tournure assez proprette, et quelques restes de vieux attraits. Malgré tout, comme elle savait bien qu’elle était un peu vieille pour affronter l’éclat resplendissant