Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/431

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« A-t-on jamais vu ! dit Nicolas ; ils sont donc fous ? » Puis, en même temps il plonge sous la table, remorque le percepteur de vive force, et le jette sur sa chaise, plié en deux comme un chiffon. « Qu’est-ce que vous prétendiez faire ?… Qu’est-ce que vous voulez ?… Qu’avez-vous donc ? »

Ce que Nicolas venait de faire pour le percepteur, Smike, de son côté, le faisait pour M. Snevellicci, qui se mit à regarder son adversaire d’un œil stupide et aviné.

« Voyez, monsieur, dit Lillyvick à Nicolas en lui montrant son épouse abasourdie, voyez la pureté et la grâce en personne dont la sensibilité vient d’être outragée… violée, monsieur.

— Là ! dit-il assez de bêtises ! s’écria Mme Lillyvick répondant au regard de Nicolas, qui ne semblait rien comprendre à tout cela : personne ne m’a pourtant rien dit.

— Rien dit, Henriette ! cria le percepteur ; croyez-vous que je ne l’ai pas vu vous… ? » M. Lillyvick ne put pas prendre sur lui de prononcer le mot, mais il simula la chose par le mouvement de son œil droit.

« Eh bien ! après ? cria Mme Lillyvick ; est-ce que vous supposez, par hasard, que personne ne me regardera plus ? Le mariage ne laisserait pas que d’être amusant, par ma foi ! s’il fallait se condamner à ces privations-là.

— Comment ! cria le collecteur, vous n’en êtes pas plus émue que cela ?

— Émue ! répéta Mme Lillyvick avec dédain ; tenez, vous n’avez qu’une chose à faire : c’est de tomber à genoux et de demander pardon à toute la société.

— Pardon, ma chère ! dit le percepteur déconfit.

— Oui, et à moi toute la première, répliqua Mme Lillyvick, est-ce que vous croyez que ce n’est pas moi qui suis le mieux à même de juger de ce qu’on me fait de convenable ou d’indécent ?

— Elle a raison, crièrent toutes les dames ; ne croyez-vous pas que nous ne serions pas les premières à nous plaindre, s’il y avait quelque chose qui en valût la peine ?

— Ne croyez-vous pas, monsieur, qu’elles ne savent pas ce qu’elles ont à faire ? » dit le papa de Mlle Snevellicci relevant le col de sa chemise et marmottant quelques menaces de casser des margoulettes, s’il n’était pas retenu par la considération des cheveux blancs. En même temps, il regarda pendant quelques secondes M. Lillyvick d’un œil hardi et courroucé ; puis, se levant de sa chaise d’un air délibéré, il embrassa toutes les dames à la ronde, en commençant par Mme Lillyvick.

Le malheureux percepteur regardait piteusement sa femme,