Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/447

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singulier panorama qui se déroulait devant leurs yeux ; des dépôts d’étoffes splendides, le rendez-vous des produits des quatre parties du monde ; des magasins séduisants, contenant tout ce qui peut aiguiser et stimuler l’appétit rassasié et donner un nouvel attrait à des régals trop répétés ; des vases d’or et d’argent brunis, façonnés avec un goût exquis en urnes, en plats, en gobelets ; des fusils, des épées, des pistolets, des instruments de destruction brevetés ; des mécaniques de fer pour redresser les tortus ; des langes pour les nouveaux-nés ; des drogues pour les malades ; des bières pour y mettre les morts, des cimetières pour y mettre les bières, tout cela s’arrangeait ensemble et se pavanait côte à côte ; tout cela semblait glisser dans une danse confuse et bigarrée, comme les groupes fantastiques du vieux peintre hollandais, offrant ensemble une sérieuse leçon à la foule indifférente qui passait et repassait toujours.

Et cependant, il ne manquait pas dans la foule même de nouveaux sujets de réflexion, pour ajouter à l’effet des tableaux qui se présentaient à leurs yeux ; les haillons du chanteur de ballade s’agitaient, sales et dégoûtants, à la riche lumière qui éclairait les trésors du bijoutier ; des figures pâles et ratatinées voltigeaient autour des fenêtres, qui étalaient des mets appétissants ; des yeux affamés erraient sur une profusion de bonnes choses, dont ils n’étaient séparés que par une mince feuille de verre ; c’était pour eux un mur d’airain. Des ombres demi-nues et grelottantes s’arrêtaient ébahies devant les châles de la Chine et les soies brochées d’or de l’Inde. Il y avait une soirée de baptême chez un gros marchand de cercueils, et un écusson funèbre venait d’arrêter les apprêts d’un mariage dans le plus bel hôtel du chemin. La vie et la mort se tenaient par la main ; l’opulence et la pauvreté marchaient côte à côte ; le cadavre apoplectique du gourmand et le squelette du meurt-de-faim gisaient à la distance de quelques pouces, séparés par une cloison.

Mais enfin c’était Londres, comme put s’en convaincre la vieille dame de l’intérieur, qui, plus d’une lieue avant Kingston, passa la tête par la portière pour crier au conducteur qu’à coup sûr Londres devait être passé et qu’il avait oublié de l’y descendre.

Nicolas retint deux lits pour Smike et pour lui dans l’auberge de la diligence, et courut sans perdre un moment au logement de Newman Noggs, car chaque minute qui se succédait ne faisait qu’accroître son anxiété et son impatience. Il n’en était plus maître. Il y avait du charbon au feu et une chandelle restée allumée dans la mansarde de Newman. Le carreau était balayé