Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/453

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En effet, en le lisant sur la carte, sir Mulberry ne put se défendre d’une expression d’étonnement passagère et même de quelque confusion ; mais il reprit bientôt son aplomb, et, passant la carte à lord Verisopht, qui était assis en face de lui, il prit à la glace un cure-dents et le porta à sa bouche tout tranquillement.

« Votre nom et votre adresse ? dit Nicolas, qui devenait plus pâle à mesure que sa tête s’échauffait.

— Je ne vous donnerai ni l’un ni l’autre, répliqua sir Mulberry.

— S’il y a ici un homme d’honneur, dit Nicolas promenant ses yeux sur les autres personnages, pendant que ses lèvres blanches et tremblantes pouvaient à peine articuler ces mots, il ne me cachera pas le nom et la demeure de cet homme-là. »

Silence complet.

« Je suis le frère de la demoiselle qui vient d’être le sujet de votre conversation. Je vous dénonce monsieur comme un menteur, et je vous déclare que c’est un lâche ; s’il a ici un ami, que cet ami lui épargne le déshonneur de chercher encore quelque misérable subterfuge pour cacher son nom. Il n’y gagnera rien, car je suis décidé à le savoir, et je ne laisserai pas aller auparavant. »

Sir Mulberry le regarda d’un œil de mépris, puis s’adressant à ses amis :

« Laissez-le parler, dit-il ; je n’ai rien de sérieux à dire à des individus de sa classe, et il peut parler comme cela jusqu’à minuit, sans que je lui casse la tête, par considération pour sa jolie sœur.

— Vous n’avez ni âme ni cœur, vil gredin, dit Nicolas, et je le ferai savoir au monde entier, mais je connaîtrai votre nom, quand je devrais vous suivre jusqu’à demain dans les rues : je vous verrai bien rentrer chez vous. »

La main de sir Mulberry, par un mouvement involontaire, se ferma sur la carafe, et on put voir le moment où il allait la lancer à la tête de son provocateur ; mais il se contenta de remplir son verre, avec un rire de mépris.

Nicolas alla s’asseoir juste en face de la société, appela le garçon et lui paya la carte.

« Connaissez-vous le nom de ce monsieur ? » lui dit-il de manière à être entendu, en lui montrant sir Mulberry.

Sir Mulberry se mit à rire un peu plus fort, et l’on entendit après l’écho de deux voix jumelles, mais un écho affaibli.

« Le gentleman qui est là, monsieur ? répliqua le garçon qui