Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/72

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« Ah ! qu’il vaudrait bien mieux, dit-il enfin, éviter toutes ces pensées et tous ces périls, en allant, dans l’abri tranquille d’un cloître, vouer votre vie à Dieu. Le bas âge, l’enfance, la fleur de la vie, ou la vieillesse, se touchent et se pressent avec tant de rapidité ! Songez comme cette poussière humaine est vite emportée vers la tombe, et, tenant vos yeux fermement attachés toujours sur ce but inévitable, chassez le nuage qui s’élève entre vous du sein des plaisirs du monde et qui trompent les sens de ceux qui se donnent à lui. Le voile, mes filles, le voile !

« Jamais, mes sœurs, s’écria Alice. Non, non, n’échangez pas l’air et la lumière du ciel, la fraîcheur de la terre, et toutes les belles créatures qui l’animent pour le cloître glacé, pour la cellule sombre. Les bienfaits de la nature, voilà les vrais biens de ce monde ; nous pouvons, sans crainte de faire mal, les savourer ensemble. La mort est triste, oh ! oui ; mais nous mourons au moins avec la vie autour de nous. Quand nos cœurs froids par la mort cesseront de battre, qu’il y ait des cœurs encore chauds près du nôtre. Que notre dernier regard embrasse l’horizon que Dieu a donné à l’azur du ciel, au lieu de se briser contre des murs de pierre ou des grilles de fer. Chères sœurs, si vous m’en croyez, vivons et mourons dans l’enceinte de ce jardin riant : fuyons seulement le séjour terrible et triste du cloître ; ce sera déjà le bonheur. »

« Les pleurs ruisselaient des yeux des jeunes filles, quand Alice, épuisée par ce mouvement passionné, se cacha la face dans le sein de sa sœur.

« Courage, Alice, prends courage, dit l’aînée en baisant son beau front. Jamais, jamais le voile ne jettera son ombre sur tes yeux ; vous le ferez si vous voulez, mes sœurs, mais Alice et moi jamais. »

« Les sœurs, d’un accord unanime, protestèrent de leur intention de rester unies ensemble ; elles étaient convaincues que la paix et la vertu peuvent habiter aussi hors des murs du couvent.

« Mon père, dit l’aînée se levant avec dignité, vous avez entendu notre dernière résolution. Le même acte pieux qui a enrichi de nos biens l’abbaye de Sainte-Marie, nous laissant orphelines sous sa sainte tutelle, a interdit toute contrainte contre notre inclination et nous a laissé la liberté de vivre selon notre choix. Qu’il n’en soit plus parlé, je vous prie. Mes sœurs, voici midi bientôt, retirons-nous jusqu’à ce soir. » Puis la jeune fille se leva, fit une révérence au solitaire et se dirigea vers