Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/100

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

c’était le meilleur parti à prendre, plutôt que d’envoyer tout de suite chercher le médecin. On monta donc John en le soutenant à grand’peine le long de l’escalier. La chose n’était pas bien commode : ce grand corps était d’un poids énorme, et, s’il montait trois marches, il en reculait deux. Enfin, on le hissa sur le lit, on l’y laissa sous la garde de sa femme, qui revint dans la salle commune au bout de quelques minutes, avec l’heureuse nouvelle qu’il dormait comme un loir.

La vérité est que, dans ce moment même, au lieu de dormir comme un loir, John Browdie était assis sur son lit, rouge comme un coq, et se fourrant un coin de l’oreiller dans la bouche pour s’empêcher de rire aux éclats. Une fois qu’il eut réprimé cette envie, il ôta ses souliers, se glissa sans bruit vers la chambre voisine où Smike était retenu prisonnier, tourna la clef en dehors, entra comme un trait, ferma la bouche au captif avec sa large main, avant qu’il pût pousser un cri d’effroi, et lui dit à l’oreille :

« Ouais ! est-ce que tu ne me reconnais pas, mon garçon ? Browdie… celui que tu as rencontré après la bonne volée donnée au maître d’école ?

— Si, si, cria Smike ; oh ! secourez-moi.

— Te secourir ! répliqua John en lui fermant encore la bouche pour qu’il n’en dit pas d’avantage ; est-ce que tu devrais avoir besoin de secours, si tu n’étais pas le plus grand nigaud que la terre ait porté ! Qu’est-ce que tu es venu faire ici ?

— C’est lui qui m’a emmené ; c’est lui, cria Smike.

— Il t’a emmené ! Tu ne pouvais pas lui écrabouiller la tête ou te jeter par terre en lui allongeant des coups de pied, en criant à la garde ? Quand j’avais ton âge, j’aurais voulu en manger douze comme lui ! Mais, va, tu n’es qu’un pauvre idiot, ajouta John d’un air de pitié, et, Dieu me pardonne, j’ai tort de gronder ainsi une pauvre créature comme toi. »

Smike allait ouvrir la bouche pour répondre, mais Browdie l’arrêta.

« Tiens-toi tranquille, et pas un mot avant que je te le dise ! »

Après cette sage précaution, John Browdie secoua la tête d’un air résolu, et tirant de sa poche un tournevis, il se mit à dévisser la serrure, comme s’il n’avait jamais fait que cela, et la posa par terre avec l’instrument à côté.

« Vois-tu ça ? eh bien ! c’est toi qui l’as fait ; à présent, file ! »

Smike le regardait, la bouche béante, sans comprendre un mot.

« Je te dis de filer, répéta John, et lestement ! Sais-tu ou tu