Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/107

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— Cela n’empêche pas qu’il est un peu plus beau hors de la ville.

— Plus beau ! répéta Tim Linkinwater, je voudrais que vous le vissiez seulement de la croisée de ma chambre à coucher.

— Et vous, je voudrais que vous le vissiez de la mienne, répliqua Nicolas avec un sourire.

— Bah, bah ! dit Tim Linkinwater, ne me parlez pas de cela. La campagne ! (Bow était pour Timothée un véritable lieu champêtre) des bêtises ! vous pouvez à la campagne vous procurer des œufs frais et des fleurs, c’est vrai, mais voilà tout ; et encore quand je veux des œufs frais pour mon déjeuner, je n’ai qu’à aller au marché de London-hall ; on en trouve là tous les matins, et, quant aux fleurs, vous n’avez qu’à monter l’escalier, et, quand vous aurez senti mon réséda ou regardé ma giroflée double, qui est à la fenêtre de la mansarde, no 6, sur la cour, vous ne regretterez pas votre peine.

— Une giroflée double, au no 6, sur la cour ? il y en a donc une ? dit Nicolas.

— S’il y en a une ! répliqua Timothée ; je crois bien, et encore le pot n’est pas fameux, il est fêlé et n’a pas d’égout. Il y avait même, ce printemps, des jacinthes en fleur dans… mais vous allez vous moquer, j’en suis sûr.

— Me moquer de quoi ?

— De ce qu’elles étaient fleuries dans de vieilles bouteilles à cirage, dit Timothée.

— Comment donc, mais il n’y a pas de quoi rire, » répliqua Nicolas.

Timothée le regarda sérieusement un moment, comme s’il se sentait encouragé, par le ton de sa réponse, à se montrer plus communicatif avec lui sur ce sujet ; puis, mettant derrière l’oreille sa plume qu’il venait de tailler, et faisant claquer gentiment son canif en fermant la lame :

« Voyez-vous, dit-il, monsieur Nickleby, ces fleurs-là appartiennent à un pauvre petit garçon malade et bossu. Il semble que ce soit le seul plaisir de sa triste existence. Voyons ! combien y a-t-il d’années, dit Timothée en réfléchissant, que je l’ai vu pour la première fois, tout petit, se traînant sur une paire de béquilles ? Ma foi ! ce n’est pas bien vieux. Ça ne paraîtrait rien pour un autre, mais lui, quand j’y pense, c’est bien long, bien long ; savez-vous, continua-t-il, que c’est bien pénible de voir un enfant contrefait, isolé des autres enfants, les regardant actifs et joyeux se livrer à des ébats qu’il ne peut que