Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/108

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suivre des yeux sans y prendre part ! J’en ai eu le cœur navré plus d’une fois.

— C’est que ce cœur-là est bon, dit Nicolas, de s’arracher ainsi à ses préoccupations journalières et de pouvoir donner quelques instants à des observations comme celles-là. Vous disiez donc…

— Que ces fleurs appartiennent à ce pauvre petit garçon, dit Timothée : voilà tout. Quand le temps est beau et qu’il peut se traîner hors de son lit, il vient mettre sa chaise tout près de la fenêtre et s’y assied, occupé tout le jour à les regarder et à les soigner. Nous avons commencé par nous saluer d’un signe de tête ; nous avons fini par nous parler. Autrefois, quand je lui souhaitais le bonjour en lui demandant comment il allait, il prenait un visage souriant, et me disait : Mieux. Mais à présent, il se contente de secouer la tête et se penche sur ses vieilles plantes comme pour les soigner de plus près. Que ce doit être triste de ne pas voir autre chose, pendant des mois et des années, que les tuiles des toits voisins et les nuages qui passent ! Heureusement qu’il est plein de patience.

— N’a-t-il personne auprès de lui dans la maison, demanda Nicolas, pour égayer sa solitude ou pour secourir sa faiblesse ?

— Son père y demeure, je crois, répliqua Timothée, et j’y vois encore d’autres gens, mais personne n’a l’air de faire grande attention aux douleurs du pauvre estropié. Je lui ai demandé bien des fois si je ne pouvais pas lui être bon à quelque chose, il m’a toujours fait la même réponse : Rien. Depuis quelque temps, sa voix est devenue trop faible pour se faire entendre. Mais je vois encore au mouvement de ses lèvres que sa réponse est toujours la même. À présent, comme il ne peut plus quitter son lit, on l’a approché tout contre la fenêtre. Il y reste étendu toute la journée, regardant tantôt le ciel, tantôt ces fleurs, qu’il se donne encore la peine d’arroser et d’arranger lui-même de ses petites mains amaigries. Le soir, quand il voit de la chandelle dans ma chambre, il tire le rideau de sa croisée et le laisse comme cela jusqu’à ce que je sois couché. Il semble que cela lui tienne compagnie de savoir que je suis là. Aussi je m’assieds souvent à ma fenêtre une heure ou deux pour qu’il puisse voir que je ne suis pas encore au lit. Quelquefois même je me lève la nuit, pour regarder la lueur triste et sombre qui éclaire sa petite chambre, et je me demande s’il dort ou s’il veille.

« Bientôt il ne veillera plus, il dormira toute la nuit, dit Timothée, pour ne plus se réveiller que dans le ciel. Nous n’avons