Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/109

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pourtant jamais seulement serré la main l’un de l’autre de toute notre vie, eh bien ! cela n’empêche pas que je le regretterai comme un vieil ami. À présent, dites-moi si, dans toutes vos fleurs de la campagne, il y en a une qui pût m’intéresser autant que celle-là ? Croyez-vous franchement que je ne verrais pas avec moins de peine se flétrir sous mes yeux mille espèces de ces fleurs d’élite, décorées aujourd’hui des noms latins les plus rudes que l’on puisse inventer, plutôt que de voir disparaître ce pot fêlé et ces bouteilles noircies quand on les emportera au grenier ? La campagne ! cria Timothée avec un mépris superbe ; ne savez-vous pas qu’il n’y a qu’à Londres que je puisse avoir une cour comme celle-là, au-dessous de ma chambre à coucher ? »

Là-dessus Timothée se détourna, sous prétexte de se plonger dans ses calculs, et se hâta de profiter de l’occasion pour s’essuyer les yeux pendant qu’il supposait Nicolas occupé à regarder ailleurs.

Soit que les calculs de Timothée fussent ce jour-là plus compliqués que d’habitude, soit que ces souvenirs attendrissants eussent, en effet, troublé sa sérénité ordinaire, quand Nicolas, à son retour d’une commission qu’il avait à faire, lui demanda si M. Charles Cheeryble était seul dans son cabinet, Timothée lui répondit tout de suite, et sans la moindre hésitation, qu’il n’y avait personne avec lui, quoiqu’il n’y eût pas dix minutes qu’il y fût entré quelqu’un, et que Timothée se fît un point d’honneur tout particulier de ne jamais laisser déranger les deux frères quand ils étaient occupés avec quelque visiteur.

« En ce cas, je vais tout de suite lui porter cette lettre, » dit Nicolas ; et en même temps il alla frapper à la porte du cabinet.

Pas de réponse.

Il frappe encore : personne ne répond encore.

« C’est qu’il n’y est pas, pensa Nicolas. Je vais toujours mettre la lettre sur son bureau. »

Il ouvre donc la porte et entre. Mais il n’a rien de plus pressé que de revenir sur ses pas en voyant, à son grand étonnement et avec quelque embarras, une demoiselle aux pieds de M. Cheeryble qui la suppliait de se relever, engageant une personne tierce, qui avait tout l’air de la domestique de la demoiselle, à joindre ses efforts aux siens pour la déterminer à ne point rester dans cette position.

Nicolas balbutia quelque excuse assez gauche, et se retirait précipitamment quand la demoiselle, en tournant un peu la tête, lui présenta les traits de la charmante jeune fille qu’il avait vue au