Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/112

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sujet favori, l’autre retomba dans un état de taciturnité plus désespérant que jamais, et, après avoir répondu d’abord par monosyllabes, il finit par ne plus répondre du tout, lui laissant le soin d’interpréter comme il voudrait quelques mouvements de tête ou d’épaules parfaitement insignifiants, qui ne faisaient qu’aiguiser l’appétit féroce de Nicolas, tourmenté par un besoin déraisonnable de satisfaire sa curiosité.

Battu sur tous les points, il n’avait plus d’autre espoir que d’épier la prochaine visite de la demoiselle ; mais il n’en est pas plus avancé : les jours se passent et la demoiselle ne revient pas. Il avait beau examiner avec attention la suscription de toutes les lettres adressées dans ses bureaux aux patrons, il n’y en avait pas une qu’il pût supposer de son écriture. Deux ou trois fois on le chargea de commissions au dehors, qui devaient le tenir éloigné quelque temps, et qui étaient dans les attributions ordinaires de Tim Linkinwater. Nicolas ne put s’empêcher de soupçonner qu’on faisait exprès, pour une raison ou pour une autre, de l’envoyer en ville pendant que la demoiselle venait à la maison. Mais rien ne justifiait ses soupçons, et il n’y avait pas de danger que Timothée se laissât prendre à lui faire quelque aveu ou lui donner quelque indice qui pût les confirmer en rien.

Les obstacles et le mystère ne sont pas absolument nécessaires à l’amour pour alimenter sa flamme, mais ce sont le plus souvent pour lui de puissants auxiliaires. « Loin des yeux, loin du cœur, » dit le proverbe : cela peut être pour l’amitié, quoiqu’à vrai dire, les attachements infidèles n’aient pas toujours besoin de l’absence pour y trouver une excuse, et qu’elle aide plutôt, au contraire, à en prolonger le semblant, comme les pierre fausses imitent mieux à distance le pur éclat du diamant. Mais l’amour se nourrit surtout des ardeurs d’une imagination vive ; il a la mémoire longue et l’entretien facile ; il vit de peu, presque de rien. Aussi est-ce souvent dans les séparations, et sous l’empire des circonstances les plus difficiles, qu’il prend son plus riche développement. Nous en avons un exemple dans Nicolas, qui, à force de rêver uniquement à son inconnue, de jour en jour et d’heure en heure, en vint à croire à la fin qu’il en était amoureux fou, et qu’il n’y avait jamais eu au monde d’amour aussi mal servi par la fortune, aussi persécuté que le sien.

Quoi qu’il en soit, il avait beau aimer et languir à l’instar des modèles les plus orthodoxes du genre, que pouvait-il faire ? choisir Catherine pour confidente ? mais il se sentait retenu sur-le-champ par cette considération bien simple qu’il n’avait rien à lui dire, car il n’avait pas même une fois en sa vie eu l’avan-