Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/152

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de sujet de querelle auquel il se montrât plus sympathique ; et naturellement il se disait que c’était là ce qu’il aurait fait lui-même, si quelque hâbleur audacieux avait osé parler d’elle d’une manière légère en sa présence. Sensible à ces considérations, il épousa avec une grande chaleur la querelle du jeune gentleman, déclarant qu’il avait bien fait et qu’il ne l’en estimait que plus, et aussitôt John Browdie, sans être tout à fait aussi sûr du point de droit, protesta avec autant de véhémence que l’avait fait Nicolas.

« Qu’il y prenne garde, je ne dis que ça, dit l’adversaire malheureux qui se faisait en ce moment donner un coup de brosse par le garçon pour faire disparaître les traces de sa dernière chute sur le parquet poudreux. Il me le payera de m’avoir frappé pour rien. Je ne lui dis que ça. Ne voilà-t-il pas à présent qu’il ne sera plus permis à un homme de trouver jolie une jolie fille, sans se faire mettre en pièces pour cela. »

Cette réflexion parut toucher d’une manière toute particulière la demoiselle de comptoir, qui dit, en arrangeant son bonnet devant la glace, « qu’il ne manquerait plus que cela, et que, s’il fallait punir les gens pour des actions si innocentes et si naturelles, il y aurait bientôt plus de battus que de personnes pour les battre : et que, pour elle, elle ne comprenait pas la conduite du gentleman. Voilà quelle était son opinion. »

« Ma chère demoiselle, lui dit le jeune gentleman à l’oreille en s’avançant du côté de la fenêtre.

— Cela ne signifie rien, monsieur, » répliqua la demoiselle sèchement, quoiqu’elle ne pût s’empêcher en se détournant de sourire et de se mordre les lèvres (sur quoi Mme Browdie, qui était encore debout sur l’escalier, lui jeta un regard de dédain et cria à son mari de revenir).

« Mais écoutez-moi donc, dit le jeune homme toujours tout bas. Si l’on était criminel pour oser trouver jolie une jolie figure, je serais moi-même le plus grand coupable du monde en ce moment, car je ne sais pas résister à cela : une jolie figure fait sur moi l’effet le plus extraordinaire ; elle m’apaise et me subjugue au milieu même de l’emportement le plus fougueux et le plus obstiné. Vous n’avez qu’à voir l’effet que la vôtre a déjà produit sur moi.

— Oh ! c’est très joli, répliqua la demoiselle en secouant la tête ; mais…

— Oui, je sais que c’est très joli, dit le jeune homme contemplant avec un air d’admiration la figure de la demoiselle de comptoir ; c’est justement là, vous savez, ce que je vous disais