Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/173

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nacé par l’un ou par l’autre ; mais après tout, les choses n’en vont pas moins leur petit train, et je n’en suis pas plus pauvre.

— Il ne s’agit pas ici de vous honnir ou de vous menacer, répondit l’homme. Je viens vous parler seulement de quelque chose que vous avez perdu de mon fait, de quelque chose que je puis seul vous rendre, d’un secret enfin qui peut mourir avec moi, sans que jamais vous ayez le moyen de le rattraper.

— Je puis me flatter, dit Ralph, d’être joliment soigneux de mon argent, et, généralement, je ne me fie qu’à moi pour le garder. Je surveille de près les gens à qui j’ai affaire, et je vous ai surveillé de plus près que personne. Ainsi donc, je vous fais cadeau de tout ce que vous avez pu me prendre.

— Ceux qui portent votre nom vous sont-ils encore chers ? dit l’homme avec énergie ; en ce cas…

— Non, répondit Ralph, outré de cette insistance et poursuivi par le souvenir de Nicolas, que la dernière question venait de raviver encore. Non, ils ne me sont pas chers. Si vous étiez venu me demander l’aumône comme tous les mendiants, je vous aurai jeté une pièce de dix sous en mémoire de vos bons tours d’autrefois ; mais, puisque vous venez essayer l’effet de ces chantages, vieux comme le monde, sur un homme que vous devriez pourtant mieux connaître, je ne vous donnerai seulement pas deux sous, quand ce serait pour ne pas vous laisser crever de faim ; et rappelez-vous bien ceci, monsieur le gibier de potence, dit Ralph en le menaçant avec la main : si jamais nous nous rencontrons et que vous ayez le front de me tendre la main, vous retournerez voir encore ce que c’est qu’une prison. Vous aurez le temps de consolider la prise que vous avez sur moi dans l’intervalle des travaux forcés auxquels on emploie les vagabonds comme vous. Voilà le cas que je fais de vos balivernes : attrape. »

Après avoir étonné de son ton dédaigneux le misérable objet de sa colère, qui soutint son regard méprisant sans prononcer un mot, Ralph s’en retourna de son pas ordinaire, sans montrer la moindre curiosité de voir ce que devenait son interlocuteur, et même sans regarder une fois derrière lui. L’homme resta à la même place, les yeux toujours fixés sur son ancien patron, jusqu’à ce qu’il l’eût perdu de vue tout à fait ; puis, se croisant les bras sous l’aisselle comme si l’humidité et le besoin glaçaient ses membres, il s’en alla le long du chemin d’un pas traînant, demandant l’aumône aux passants.

Ralph, sans être le moins du monde ému de ce qui venait de se passer, après les menaces qu’il laissait comme adieu à son