Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/203

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qu’il ne savait trop que dire, a-t-elle… se prête-t-elle à cette ruse innocente ?

— Oui, oui, répondit M. Cheeryble ; du moins elle sait que vous venez de notre part ; seulement elle ne sait pas l’emploi que nous ferons de ces petits objets que vous irez lui acheter pour nous de temps en temps. Peut-être même, à force d’habileté,… mais il en faudrait beaucoup… peut-être pourriez-vous lui laisser croire que nous gagnons sur elle… Eh ! eh ! »

Cette supposition innocente et naïve rendait le frère Charles si heureux, il trouvait tant de plaisir à penser qu’il ne serait pas impossible d’amener la jeune personne à supposer qu’elle ne leur avait pas d’obligation, que Nicolas ne voulut pas troubler son bonheur en élevant le moindre doute à cet égard.

Mais, par exemple, pendant toute cette conversation, il avait toujours eu sur le bout des lèvres un aveu prêt à s’échapper. Il ne s’en fallut de rien qu’il déclarât à M. Cheeryble que les objections qui le faisaient renoncer à employer son neveu pour cette commission ne s’appliquaient pas avec moins de force et de justice à lui-même. Vingt fois il fut sur le point d’ouvrir son cœur tout entier et de demander grâce ; mais chaque fois aussi ce premier mouvement fut suivi d’un autre instinct plus fort, qui venait modérer sa candeur et retenait sur sa langue son secret prêt à s’envoler. « Et pourquoi, se disait Nicolas, irais-je semer des difficultés dans l’exécution de ce dessein si bienveillant et si généreux ? Avec l’amour et le respect que j’ai pour cette bonne et charmante jeune fille, il me conviendrait bien d’aller jouer le personnage d’un fat et d’un freluquet qui voudrait lui épargner le danger de s’amouracher de sa personne ! Et puis, ne suis-je donc pas sûr de moi ? L’honneur ne me fait-il pas un devoir de réprimer ma passion ? Cet excellent homme, qui m’a choisi dans cette affaire, n’a-t-il pas droit d’attendre de moi tous les services du plus entier dévouement, et seraient-ce de misérables considérations personnelles qui pourraient m’empêcher de les lui rendre ? »

À chacune des questions que Nicolas se posait ainsi en lui-même, une voix intérieure répondait aussi avec la plus grande énergie : « Non ! » Il finit même par se regarder comme un glorieux martyr de son devoir, et se résigna noblement à tous les sacrifices. Mais pour peu qu’il se fût examiné de plus près, il aurait facilement découvert qu’il ne faisait qu’obéir à ses plus chers désirs. C’est toujours comme cela ; nous sommes d’habiles escamoteurs avec nos propres sentiments, et nous savons, en un