Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/236

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ne pas parler, et dont je ne parle jamais, excepté à ceux qui sont au fait de mes tracas ; pardon, je m’étais un moment oublié. »

Nicolas termina ses excuses par un salut respectueux au phénomène et se hâta de changer de sujet, se reprochant en lui-même son impétuosité, et se demandant ce que Mme Crummles devait penser d’une explosion de sentiments si soudaine.

À vrai dire, si cette dame y pensa, elle n’y pensa guère, car, à la vue du souper servi sur la table, elle donna sa main à Nicolas pour aller se placer d’un pas majestueux à la gauche de M. Snittle Timberry. Nicolas eut l’honneur d’être près d’elle, de l’autre côté ; M. Crummles, à la droite du président. Autour du vice-président se groupèrent le phénomène et ses jeunes frères.

Les convives montaient au nombre de vingt-cinq ou trente, tous artistes dramatiques, engagés ou non à quelque théâtre de Londres, et tous intimes de M. et de Mme Crummles. Les messieurs et les dames étaient presque en nombre égal. Comme c’étaient les premiers qui avaient fait les frais de cette petite partie, chacun d’eux avait eu le privilège d’amener avec lui quelqu’une de ces dernières.

C’était, en somme, une réunion très distinguée, car, indépendamment des planètes secondaires qui vinrent en cette occasion se ranger, en satellites bien appris, autour de leur soleil dramatique, M. Snittle Timberry, il y avait là un homme de lettres qui avait dramatisé, dans son temps, deux cent quarante-sept romans à peine publiés, quelques-uns même encore sous presse, ce qui faisait par conséquent que c’était un homme de lettres.

C’était lui qui était assis à la gauche de Nicolas : il lui avait été présenté du bout de la table par son ami l’avaleur africain, qui avait profité de l’occasion pour faire un éloge pompeux de sa glorieuse réputation.

« Je suis heureux, dit poliment Nicolas, de faire la connaissance d’un homme si distingué par son mérite.

— Monsieur, répliqua le personnage, soyez le bienvenu parmi nous. L’honneur est réciproque, comme j’ai l’habitude de le dire, de l’auteur et de moi quand je mets son livre en drame. Avez-vous jamais entendu définir la gloire ?

— Plus d’une fois, je vous assure, répliqua Nicolas avec un sourire ; et vous, quelle est votre définition ?

— Quand je mets un livre en drame, monsieur, dit l’homme de lettres, c’est de la gloire… pour son auteur.

— Ah ! c’est comme ça que vous l’entendez ?

— Oui, monsieur, voilà la gloire !