Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/261

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lous comptaient le produit de leur journée, acquis à la sueur de leur front. L’attention, concentrée tout à l’heure sur un seul point, se partageait maintenant entre mille intérêts différents, et, partout où vous portiez les regards, vous ne pouviez plus voir qu’une réunion confuse, un joyeux pêle-mêle de rieurs, de causeurs, de joueurs, de voleurs, de mendiants et de mascarades.

Les joueurs surtout n’avaient pas à se plaindre. Une foule de baraques disposées en salons de jeux étalaient aux yeux le luxe de leurs tapis moelleux, de leurs portières à grandes raies, de leurs rideaux cramoisis, de leurs toits élevés, de leurs pots de géraniums et de leurs domestiques en livrée. Il y avait le club des Étrangers, le club de l’Athenæum, le club de Hampton, le club de Saint-James, une lieue de clubs, ou peu s’en faut, à l’usage des joueurs : il y avait le rouge et noir, la merveille et le lansquenet.

Entrons dans un de ces temples de la fortune, nous y trouverons des personnages de notre connaissance.

Voyez d’abord ces trois tables à jeu, entourées de joueurs et de curieux. Quoique ce soit la salle la plus vaste dans son genre de tout le champ de course ; quoiqu’on ait pris la précaution d’en relever la toile pour donner plus d’air, et de pratiquer deux portes pour établir un courant, il y fait une chaleur atroce. À l’exception de deux ou trois personnages qui tiennent à la main quelques pièces d’or égarées dans une pile d’écus, pour y puiser à chaque tour de bille le montant de leur enjeu, avec le calme diligent d’un joueur de profession qui n’a fait autre chose ce matin, cette nuit, hier et tous les jours, vous n’apercevrez pas chez les autres de caractère intéressant. Ce sont, pour la plupart, des jeunes gens attirés par la curiosité, qui risquent quelques petites sommes pour continuer les amusements du jour, sans montrer grand intérêt de perte ou de gain. Cependant voici deux individus qui méritent d’attirer en passant notre attention, comme des échantillons remarquables d’une classe particulière.

L’un d’eux est un homme de cinquante-six à cinquante-huit ans ; il est assis sur une chaise près d’une des entrées du salon, les mains croisées sur la pomme de sa canne et son menton posé sur ses mains. C’est un homme grand, gras, haut de buste, boutonné jusqu’au cou dans un petit habit vert qui le fait paraître encore plus long qu’il n’est. Il porte une culotte courte, des guêtres, une cravate blanche et un chapeau blanc à larges bords. Au milieu du bruit et des bourdonnements de la salle,