Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/272

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tôt au dehors quelque chose qui nous oblige à lever le pied sans délai, et à quitter Londres à temps, dit M. Westwood. Qu’est-ce que vous dites d’un des prés, le long de la rivière, en face de Twickenham ? »

Le capitaine n’avait pas d’objection.

« Voulez-vous que nous nous rejoignions dans l’avenue d’ormes qui mène de Pétersham à Ham-House, pour régler en arrivant le lieu précis du combat ? »

Adopté. Après quelques autres préliminaires aussi laconiques, on décida le chemin que prendrait chaque adversaire pour éviter tout soupçon, et on se sépara.

« Nous n’avons guère plus de temps à présent qu’il ne nous en faut, milord, dit le capitaine, pour venir prendre chez moi ma boîte de pistolets, et nous en aller tout doucement au rendez-vous. Si vous me permettez de renvoyer votre domestique, nous prendrons mon cabriolet, car j’ai peur que le vôtre ne nous fasse reconnaître. »

Quand une fois ils furent dans la rue, quel contraste avec la scène dont ils sortaient ! Le petit jour commençait à poindre. La lumière jaunâtre qui éclairait le salon avait fait place à la lueur claire, brillante, glorieuse du matin. Au lieu de l’atmosphère chaude, étouffante, chargée du fumet des lampes expirantes et des vapeurs de l’orgie, l’air libre, l’air frais, l’air pur et salubre ! Mais hélas ! la tête fiévreuse sur laquelle soufflait cet air pur, aspirait avec lui le remords d’une vie passée dans la dissipation et le regret des occasions perdues. Lord Verisopht, les veines gonflées, la peau brûlante, l’œil hagard et farouche, les idées en désordre, l’esprit perdu, croyait lire dans la lumière du jour un reproche, et reculait involontairement devant les feux de l’aurore comme devant un spectacle effrayant et hideux.

« Du frisson ? dit le capitaine. Vous avez froid.

— Un peu.

— Il fait frais, quand on sort d’une chambre chaude. Enveloppez-vous dans ce manteau. Bon, bon, nous voilà bien. »

Ils traversèrent les rues tranquilles, troublées seulement par le bruit des roues, descendirent un moment au logis du capitaine, quittèrent la ville et se trouvèrent sur la route, sans avoir été contrariés ni inquiétés dans leur marche.

Les champs, les arbres, les jardins, les haies, que tout paraissait beau ! Le jeune homme avait passé devant, plus de mille fois auparavant, sans les voir. Il en était frappé aujourd’hui. Tous ces objets portaient à son âme la sérénité et la paix, et n’y trouvaient qu’un chaos de pensées confuses ; et cependant au milieu