Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/293

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pas les seuls qui pussent recevoir une jolie éducation ; Mme Kenwigs, sous l’empire de ces préoccupations, et pressée par les préparatifs qu’il fallait faire, s’était déjà pâmée deux fois. Mais, n’importe, soutenue par la ferme résolution de faire honneur au nom de la famille, ou de mourir à la peine, elle travaillait encore avec un courage infatigable, lorsque Newman rentra chez lui.

Mme Kenwigs avait été tellement occupée, depuis le reçu du billet, à repasser les collerettes, à plisser les volants, à décorer les jupes, sans compter, par ci par là, un évanouissement ou deux (ce qui prend toujours un peu de temps), qu’il n’y avait pas plus d’une demi-heure qu’elle venait de s’apercevoir que les blondes queues de miss Morleena étaient devenues trop longues, ou, comme on dit, montées en graine, et qu’à moins de passer par les mains d’un coiffeur habile, loin de remporter, sur les filles de ces autres papas et mamans dont on s’était promis la honte, une victoire signalée, c’était elle, au contraire, qui éprouverait un échec humiliant. Cette découverte avait jeté Mme Kenwigs dans le désespoir ; car, pour aller jusque chez le coiffeur, il fallait traverser trois rues au risque des voitures. Il était impossible de penser à laisser Morleena y aller seule, quand même la décence l’aurait permis, et Mme Kenwigs était très scrupuleuse sur les convenances. D’un autre côté, M. Kenwigs n’était pas revenu de sa journée, et personne pour conduire Morleena chez le coiffeur.

Mme Kenwigs en était si outrée, qu’elle commença par claquer miss Kenwigs comme étant la cause de ces contrariétés, puis elle finit par verser des larmes.

« Ingrate enfant que vous êtes ! disait-elle ; après toute la peine que je me suis donnée pour vous ce soir !

— Mais, maman, ce n’est pas ma faute, répliqua Morleena aussi tout en larmes ; comment voulez-vous que j’empêche mes cheveux de grandir ?

— Taisez-vous, vilaine petite fille, dit Mme Kenwigs ; ne me parlez pas. Quand je voudrais vous laisser aller seule, au risque d’être poursuivie par des insolents, ne sais-je pas bien que vous n’auriez rien de plus pressé que d’aller dire à Laure Chopkins (c’était la fille de l’ambitieuse voisine) la robe que vous allez mettre demain. Je vous connais bien ; vous n’avez pas du tout d’amour-propre, et il n’y a pas à vous perdre de vue un seul instant. »

Tout en déplorant, en ces termes, les dispositions perverses de sa fille aînée, Mme Kenwigs faisait encore couler de ses yeux de nouvelles larmes de contrariété, et finit par déclarer qu’elle