Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/300

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tourneriez ainsi le dos, à moi, à mes chers enfants et à Kenwigs, qui est l’auteur de leur existence ! Vous, autrefois si bon et si tendre pour nous que, si quelqu’un nous avait prophétisé chose pareille, nous l’aurions foudroyé de notre mépris. Vous, dont nous avons donné le nom, au pied de l’autel, à notre premier petit garçon ! Ah ! pensée cruelle !

— Croyez-vous, dit M. Kenwigs, que nous pensions à l’argent, croyez-vous que notre chagrin eût un motif intéressé ?

— Non ! cria Mme Kenwigs, je me moque de tout cela.

— Et moi aussi, dit M. Kenwigs, et je m’en suis toujours moqué.

— C’est ma sensibilité, dit Mme Kenwigs, qui a été lacérée sans pitié. C’est mon cœur qui a été déchiré par les plus tristes angoisses. J’ai été délaissée dans mes couches ; mon enfant inoffensif en est devenu tout grognon et tout mal à son aise ; Morleena en est devenue à rien ; eh bien ! tout cela, je l’oublie et le pardonne, car, je le sens, mon oncle, je ne pourrais jamais me quereller avec vous ; mais ne me demandez jamais de la recevoir, elle, jamais ! car je ne le veux pas, non ! je ne le veux pas ! veux pas ! veux pas ! veux pas !

— Suzanne, ma chère Suzanne, dit M. Kenwigs, pas tant d’émotion, songez à votre enfant.

— Oui ! dit Mme Kenwigs en poussant un grand cri, je veux songer à mon enfant ! je veux songer à mon enfant ! mon enfant à moi, dont il n’y a pas d’oncles qui puissent me dépouiller ! Mon enfant, haï, méprisé, abandonné, qu’on a planté là. »

Et ici les sensations de Mme Kenwigs devinrent si violentes, que M. Kenwigs s’empressa de lui administrer de la corne de cerf intérieurement, du vinaigre extérieurement, et de mettre en pièces un lacet de corset, quatre cordons de jupe et un certain nombre de petits boutons.

Newman était resté spectateur de cette scène, car M. Lillyvick lui avait fait signe de ne pas se retirer, et M. Kenwigs lui avait fait ensuite un signe de tête qui pouvait passer pour une invitation de continuer à les honorer de sa présence. Mais il était resté jusque-là spectateur silencieux. Alors pourtant, il se permit de faire à Mme Kenwigs quelques représentations et de la supplier de se remettre, car il avait sur elle quelque influence ; ce que voyant M. Lillyvick, il profita d’un moment de calme de sa nièce, et lui dit d’une voix défaillante :

« Ce n’est pas moi qui vous demanderai jamais de recevoir ma…, je n’ai pas besoin de vous dire quoi, vous savez bien ce que je veux dire, Suzanne, et vous, Kenwigs : il y a eu hier