Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/308

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ment vous les avez eues, mais vous les avez toujours chaque fois que vous venez ici. Croyez-vous, jeune homme, que je ne connaisse pas bien ces petits commerçants et l’orgueil qu’ils puisent dans leur bourse lorsque, par une heureuse circonstance, ils mettent un jour ou deux le grappin… ou croient le mettre… sur un gentleman.

— Ce n’est pas avec un gentleman, dit Nicolas respectueusement, c’est avec une demoiselle que mon commerce me met en rapport.

— C’est avec la fille d’un gentleman, monsieur, répondit le malade. Ce n’est donc pas la peine d’avocasser ; mais voyons, vous avez sans doute des commandes ? N’avez-vous pas de nouvelles commandes pour ma fille, monsieur ? »

Nicolas ne se trompa pas sur les motifs de ce ton victorieux dont M. Bray lui faisait subir un interrogatoire ; mais il se rappela la nécessité de garder jusqu’au bout le rôle dont il s’était chargé, et présenta un morceau de papier qui était censé contenir une liste de quelques dessins dont son patron demandait l’exécution et qu’il avait prise sur lui dans la prévision qu’elle pourrait lui servir.

« Ah ! dit M. Bray, voilà les commandes, n’est-ce pas ?

— Si vous tenez à vous servir de ce mot,… oui, monsieur, répliqua Nicolas.

— Eh bien ! vous pouvez dire à votre maître, reprit Bray en repoussant le papier avec un sourire triomphant, que ma fille, Mlle Madeleine Bray, ne daigne plus désormais se livrer à de pareils travaux ; qu’elle n’est pas à sa discrétion et à ses ordres comme il paraît le croire ; que nous n’avons pas besoin de son argent pour vivre, comme il s’en flatte ; qu’il n’a qu’à donner ce qu’il peut nous devoir au premier mendiant qui passera devant sa boutique, si mieux il n’aime en faire un item à la colonne de ses profits, la première fois qu’il relèvera ses comptes ; enfin qu’il peut aller au diable, je ne l’en empêche pas. Voilà, monsieur, comment je reçois ses commandes.

— Et voilà, se dit en lui-même Nicolas, comme l’homme qui vend sa fille, malgré ses larmes, entend l’indépendance ! »

Heureusement, le père était trop enivré des grandes destinées qui s’ouvraient encore devant lui, pour remarquer l’air de mépris qu’il aurait pu lire sur la figure de Nicolas ; car le jeune homme indigné n’aurait pu s’empêcher de le faire paraître, même au milieu des tortures.

« Là ! continua-t-il après un moment de silence ; vous avez maintenant la réponse, vous n’avez plus qu’à vous retirer,