Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/310

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tout à fait la paix de votre esprit et la tranquillité de votre âme, je vous demande, au nom de Dieu, de vouloir bien m’entendre un moment. »

Elle voulut rentrer, mais Nicolas la retint doucement comme elle passait devant lui.

« Veuillez m’entendre, dit Nicolas, ou plutôt, ce n’est pas moi que je vous prie d’entendre, c’est surtout l’homme au nom duquel je vous parle, qui est en ce moment loin de vous, et ne peut pas savoir le danger où vous êtes. Au nom du ciel ! écoutez-moi. »

La pauvre servante se tenait là debout, les yeux gonflés et rougis par ses larmes, et Nicolas l’implora dans des termes si pathétiques, qu’elle ouvrit une porte voisine par où elle conduisit, en la soutenant, sa maîtresse défaillante, dans la chambre d’à côté, en faisant signe à Nicolas de l’y suivre.

« Laissez-moi, monsieur, je vous prie, dit la demoiselle.

— Je ne veux pas, je ne veux pas vous laisser ainsi, dit Nicolas. J’ai un devoir à remplir, et, si ce n’est pas ici, ce sera dans la chambre que nous venons de quitter, aux risques et périls de M. Bray, qu’il faut que je vous supplie de réfléchir encore au parti funeste dans lequel on vous précipite.

— De quel péril voulez-vous parler, monsieur, et qui m’y a précipitée ? demanda la demoiselle, faisant tout ce qu’elle pouvait pour prendre un air de dignité offensée.

— Je parle de ce mariage, répondit Nicolas, de ce mariage fixé à demain par un homme qu’on est sûr de rencontrer partout où il y a un mauvais coup à faire, et jamais où il s’agit de faire quelque bien, de ce mariage dont l’histoire m’est connue mieux qu’à vous, beaucoup mieux. Je sais les trames qu’on tisse autour de vous ; je sais les ouvriers habiles qui les ont ourdies : on vous trahit, on vous vend… pour un peu d’or, pour quelques pièces de monnaie rouillées par les larmes, et peut-être rougies par le sang des débiteurs ruinés qui, dans leur désespoir, ont porté sur eux-mêmes leurs mains meurtrières.

— Vous avez, dites-vous, un devoir à remplir, répliqua Madeleine, vous n’êtes pas le seul ; moi aussi, j’en ai un, et je le remplirai avec l’aide de Dieu.

— Dites plutôt avec l’aide des démons, répliqua Nicolas, avec l’aide de gens, sans en excepter votre futur mari, qui sont…

— Arrêtez, je ne dois pas entendre ces choses-là, cria Madeleine en faisant de vains efforts pour réprimer un frisson que la moindre allusion au nom d’Arthur Gride semblait avoir provoqué ; si c’est un mal, c’est un mal dont je ne dois me prendre qu’à moi ; je ne suis précipitée dans ce parti par personne, je le