Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/314

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le soir, après avoir réussi à mettre un peu d’ordre dans ses pensées, il sortit de nouveau.

Ce soir-là, le dernier soir du célibat d’Arthur Gride, le trouva comme de raison ivre de joie et d’une humeur charmante. L’habit vert-bouteille avait reçu un bon coup de brosse et pendait là tout prêt pour le lendemain matin. Peg Sliderskew avait rendu ses comptes ; l’emploi des trente-six sous qu’on lui donnait pour la dépense deux fois au plus par jour, sans jamais lui donner plus à la fois, avait été par elle soigneusement justifié. Tous les préparatifs étaient faits pour le prochain régal. Un autre qu’Arthur serait peut-être resté plongé dans des rêves de bonheur ; mais, lui, il préféra s’asseoir à son bureau pour faire le relevé de ses recettes sur un vieux et sale registre de parchemin, dont le fermoir était rouillé.

« Pauvre petit ! dit-il en riant dans sa gorge et tombant à genoux devant un coffre-fort fixé dans le parquet par de bons écrous et dans lequel il plongea son bras presque jusqu’à l’épaule pour en tirer doucement le volume aux pages graisseuses. Pauvre petit ! je n’ai pourtant pas d’autre bibliothèque, je n’ai qu’un livre en tout ; mais il est vrai de dire que c’est bien un des plus amusants qu’on ait jamais écrits. Oh ! le bon livre, où il n’y a rien que de réel et de vrai ! C’est ce qui m’en plaît. Vrai comme la banque d’Angleterre, et réel comme sa monnaie d’or et d’argent ; Arthur Gride fecit. Hé ! hé ! hé ! trouvez-moi donc un de vos romanciers qui vous fasse un aussi bon livre que cela ; un livre composé pour l’usage d’une seule personne, tiré à un exemplaire seulement ; un livre qui n’est destiné à être lu que par moi, et pas par d’autres. Hi ! hi ! hi ! »

En marmottant ce monologue entre ses dents, Arthur porta sur la table son précieux bouquin, le plaça avec soin sur un pupitre poudreux, prit ses lunettes et se mit à plonger dans les feuillets du registre.

« C’est une bien grosse somme, dit-il d’une voix plaintive, que j’ai à payer à M. Nickleby. La dette entière à acquitter : vingt-quatre mille trois cent quatre-vingt-deux francs soixante quinze centimes, pour demain midi précis. Je sais bien que ma petite poulette m’apporte un dédommagement, mais, avec tout cela, reste toujours à savoir si je n’aurais pas pu faire mes affaires moi-même. Jamais poltron n’eut belle amie. Je m’en veux d’avoir été si poltron ; est-ce que je ne pouvais pas hardiment aller faire mes offres à Bray moi-même, et gagner d’un seul