Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/330

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figuraient ses traits, empêchaient de reconnaître en lui cet homme impassible, maître de ses sentiments, cet homme de pierre ou de fer qui, une minute avant, paraissait insensible à toute émotion.

« Voilà l’homme qui est venu chez moi hier soir, lui dit tout bas Gride en le poussant du coude… L’homme qui est venu chez moi hier soir !

— Je vois bien, murmura l’autre. Je le savais, ce n’était pas si difficile à deviner. Je l’ai toujours dans mon chemin. Que je me tourne de çà ou de là, que j’aille ou vienne, toujours, toujours lui. »

Quant à Nicolas, sa figure pâle, ses narines gonflées, ses lèvres tremblantes, quoique fermement pressées l’une contre l’autre, montraient assez la lutte intérieure qui se livrait dans son âme. Mais il réprimait son émotion, et, serrant doucement le bras de Catherine pour la rassurer, il se tenait droit et ferme, face à face avec son indigne parent.

Debout côte à côte, le frère et la sœur, dans une attitude noble et gracieuse qui faisait valoir leur taille élégante, avaient ensemble un air de ressemblance qui aurait frappé les yeux de tout le monde, quand ils n’auraient pas été rapprochés comme en ce moment. La physionomie, le port, jusqu’au regard et à l’expression du frère, se réfléchissaient dans la sœur comme dans un miroir, mais adouci et comme raffiné, pour ne point faire tort à l’attrait élégant de ses formes délicates et de sa grâce féminine. On était encore plus saisi de retrouver dans le visage de Ralph une ressemblance indéfinissable avec ce couple fraternel. Et cependant, si les autres n’avaient jamais été plus beaux qu’en ce moment, lui il n’avait jamais été plus laid. Pendant que le frère et la sœur n’avaient jamais eu une mine plus fière, lui il n’avait jamais eu une mine plus basse. Singulier rapprochement ! C’est à l’instant que ses traits empruntaient à ses pensées haineuses leur expression dure et grossière, que cette ressemblance naturelle, en dépit du contraste, se montrait plus sensible.

« Sortez ! fut le premier mot qu’il put prononcer en grinçant des dents. Sortez ! Qu’est-ce que vous venez faire ici, menteur, coquin, lâche, voleur ?

— Je viens ici, dit Nicolas d’une voix sourde, pour sauver votre victime, si je peux. S’il y a un menteur et un coquin, c’est vous, vous n’êtes pas autre chose à toutes les heures de votre vie. Quant au vol, c’est votre état. Et pour la lâcheté, si vous n’étiez pas le plus lâche des hommes, vous ne seriez pas ici