Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/342

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relations journalières avec le docteur ; qu’ils faisaient eux-mêmes de fréquentes visites à la maison, et que tous les matins ils avaient des détails circonstanciés de la bouche même de Nicolas. C’est alors que Mme Nickleby était toute fière ; jamais on n’avait vu femme si grave et si discrète, ni si mystérieuse non plus ; jamais général d’armée n’usa d’une tactique plus savante, et ne combina des plans plus impénétrables qu’elle, pour sonder M. Frank et vérifier ses soupçons. Et, quand elle se crut sûre de son fait, quelle adresse dans ses manœuvres pour l’amener à la choisir pour confidente, et à s’adresser à son intervention charitable ! Mme Nickleby faisait feu de toutes ses batteries pour s’assurer le succès ; elle savait les masquer et les démasquer à propos pour porter le trouble chez l’ennemi. Tantôt, elle était pleine de cordialité gracieuse ; tantôt, de roideur glaciale. Aujourd’hui, on aurait dit qu’elle voulait épancher tous les secrets de son cœur dans le sein de son infortunée victime ; le lendemain, elle le tenait à distance et le recevait avec une réserve calculée, comme si elle venait d’être éclairée d’un rayon de lumière, et qu’en devinant ses intentions, elle eût résolu de les étouffer dans leur germe : comme si elle croyait de son devoir rigoureux d’agir en vrai Spartiate, et de décourager, une fois pour toutes, des espérances qui ne devaient jamais se réaliser. Quelquefois même, quand elle était sûre que Nicolas n’était pas là pour l’entendre, et que Catherine était montée près de son amie pour lui donner des soins empressés, la digne matrone laissait échapper des demi-confidences sur l’intention où elle était d’envoyer sa fille passer trois ou quatre ans en France, ou en Écosse, pour restaurer sa santé altérée par ses dernières fatigues ; ou faire un tour en Amérique, n’importe où, pourvu que ce fût une menace de longue et douloureuse séparation. Ce n’était pas tout : elle alla, une fois, jusqu’à faire entendre, en termes obscurs, que sa fille avait inspiré depuis longtemps une passion au fils d’un de ses anciens voisins, un M. Horace Peltirogus (le jeune gentleman pouvait bien avoir alors à peu près quatre ans), et elle poussa la ruse jusqu’à représenter cette affaire comme un arrangement convenu entre les familles : on n’attendait plus que l’assentiment définitif de sa fille pour la mener à l’autel, et consommer le bonheur ineffable de tout le monde.

Elle était encore dans toute l’ivresse de son orgueil et de sa gloire d’avoir fait jouer cette mine décisive le soir même, avec un succès sans pareil, lorsqu’elle profita d’une occasion où elle se vit seule avec Nicolas, avant d’aller au lit, pour le pressentir sur