Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/377

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Au bout d’une quinzaine, il ne pouvait déjà plus continuer à marcher. Une fois ou deux, Nicolas le mena en voiture, le corps soutenu par des oreillers ; mais le mouvement de la voiture lui faisait mal et lui donnait des évanouissements, dangereux dans l’état de faiblesse où il était. Il y avait dans la maison un vieux sofa sur lequel il aimait à rester étendu de préférence dans le jour. Quand il faisait du soleil, et que le temps était chaud, Nicolas faisait rouler le lit de repos dans le verger qui était à la porte, il enveloppait bien le malade et l’y transportait doucement pour y passer assis près de lui des heures entières.

Ce fut dans une de ces occasions que se passa une circonstance que Nicolas regarda d’abord comme une pure vision du cerveau malade de Smike, mais dont il ne reconnut que trop tard la triste réalité.

Il avait porté là son ami dans ses bras (le pauvre garçon ! Ce n’était pas difficile. Un enfant en aurait fait autant), pour voir coucher le soleil, et, après l’avoir bien installé sur le sofa, il avait pris une chaise près de lui. Comme il avait passé toute la nuit précédente à veiller à ses côtés, il céda à la double fatigue de l’esprit et du corps, et insensiblement s’assoupit.

Il n’y avait pas cinq minutes qu’il avait fermé l’œil, quand il fut réveillé tout à coup par un grand cri. Il sauta sur sa chaise, dans cet état de frayeur où l’on se trouve en sortant soudainement du sommeil, et, à son grand étonnement, il voit que Smike avait eu la force de se lever sur son séant : les yeux lui sortaient de la tête, une sueur froide lui coulait du front, un tremblement convulsif agitait ses membres, il l’appelait avec terreur à son secours.

« Grand Dieu ! qu’y a-t-il ? dit Nicolas en se jetant sur lui. Calmez-vous ; vous venez donc d’avoir un rêve ?

— Non, non, non, cria Smike en s’accrochant après lui ; tenez-moi bien : ne me lâchez pas… Là, là, derrière l’arbre. »

Nicolas suivit la direction de ses yeux, à quelque distance derrière la chaise qu’il venait de quitter lui-même : mais il n’y avait rien.

« Ce n’est qu’un jeu de votre imagination, lui dit-il en essayant de lui remettre les sens ; ce ne peut être que cela.

— Je ne me suis pas trompé : je l’ai vu tout comme je vous vois. Oh ! promettez-moi de me garder avec vous ; jurez-moi que vous ne m’abandonnerez pas, pas un instant.

— Moi ! vous abandonner ! jamais, répondit Nicolas. Recouchez-vous : vous voyez bien que je suis près de vous. À présent, contez-moi cela : qu’est-ce que c’était ?