Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/382

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détestables, qui viennent à chaque instant se mêler de ce que je dis et de ce que je fais, et toujours pour me contrecarrer. Si je veille, quel repos puis-je avoir, incessamment poursuivi par ce spectre de je ne sais quoi, et c’est bien ce qu’il y a de pis. Il faut pourtant que j’en aie, du repos. Une nuit seulement de repos continu, et je me retrouverai sur mes pieds. »

En même temps, repoussant des mains la table, comme si la vue des mets lui faisait mal au cœur, il aperçut sa montre : elle marquait près de midi.

« Voilà qui est étrange, dit-il, midi, et Noggs n’est pas ici ! Quelque batterie au cabaret qui l’aura retenu. Je voudrais pour quelque chose, même pour de l’argent, quoique je vienne de faire une grosse perte, qu’il eût donné un coup de couteau à un homme dans une querelle de taverne, ou fait un vol avec effraction, ou filouté quelqu’un, ou commis tous les crimes qu’on voudra, pourvu qu’il n’en fût pas quitte à moins des galères avec un boulet au pied, pour me débarrasser de lui. Mais, ce qui vaudrait mieux encore, ce serait de le faire tomber dans quelque piège et de le tenter ici, par quelque moyen, pour qu’il me vole. Qu’il me prenne tout ce qu’il voudra, j’en serai bien aise, si cela me procure le plaisir de le livrer à la justice. Car c’est un traître, j’en mettrais ma tête à couper. Où ? quand ? comment ? je n’en sais rien, mais j’en suis sûr. »

Après avoir attendu encore une demi-heure, il envoya sa gouvernante chez Newman, pour savoir si c’est qu’il était malade, et pourquoi il n’était pas venu sans le prévenir. Elle lui rapporta pour nouvelle qu’il n’avait pas couché chez lui, et que personne ne savait ce qu’il était devenu.

« Mais, ajouta-t-elle, il y a en bas, monsieur, un gentleman que j’ai trouvé à la porte en arrivant, et qui dit…

— Qu’est-ce qu’il dit ? demanda Ralph avec colère. Ne vous ai-je pas répété cent fois que je ne voulais recevoir personne ?

— Il dit, reprit la servante tout intimidée par ses rebuffades, qu’il vient pour une affaire particulière qui n’admet pas de retard, et j’ai pensé que ce pouvait être pour…

— Pour quoi ? au nom du diable ! N’allez-vous pas aussi épier et surveiller les affaires qu’on peut avoir avec moi ? Dites.

— Ah ! ciel ! non, monsieur. Je vous voyais tourmenté, et je pensais que peut-être il venait vous parler de M. Noggs. Voilà tout.

— Elle m’a vu tourmenté ! marmotta Ralph. Ne voilà-t-il pas qu’ils vont se mettre tous à me guetter ? Où est-il, ce monsieur ?