Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/384

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regardant avec plus de pitié que de colère. Continuer son chemin tranquillement !

— Enfin, monsieur, vous ne voulez pas, je suppose, rester chez moi malgré moi, et sans doute vous n’avez pas la prétention de persuader un homme fermement décidé à se boucher les oreilles pour ne pas entendre un mot de ce que vous voulez dire.

— Écoutez, monsieur Nickleby, reprit le frère Charles toujours avec le même ton de douceur, mais aussi avec fermeté, si je viens ici, c’est contre mon gré, j’en suis plus fâché, plus désolé que personne. Je n’ai jamais mis les pieds dans cette maison, et, si vous voulez que je vous parle franchement, je ne m’y trouve pas à mon aise, je sens que je ne suis pas à ma place, et je n’ai pas envie d’y revenir jamais. Vous ne vous doutez pas du sujet qui m’amène : vous ne pouvez pas vous en douter, je le vois bien à votre accueil : vous changeriez bientôt de ton.

Ralph lui jeta un regard perçant, mais l’œil clair et limpide et la physionomie ouverte de l’honnête négociant rencontrèrent fièrement son regard, sans changer d’expression.

« Faut-il que je continue ? demanda M. Cheeryble.

— Oh ! mon Dieu ! comme il vous plaira, répondit Ralph sèchement. Voici des murs pour vous entendre, monsieur, un bureau, deux tabourets, ce sont des auditeurs très attentifs et dont vous n’avez pas à craindre qu’ils vous interrompent. Continuez, je vous prie ; faites comme chez vous ; je vais faire un tour, peut-être quand je reviendrai vous aurez fini tout ce que vous avez à dire, et qu’alors vous voudrez bien me céder la place. »

En même temps il boutonna son habit, passa dans le corridor et décrocha son chapeau. Le vieux gentleman suivit ses pas, et se disposait à ouvrir la bouche, quand Ralph lui fit de la main signe de se taire et lui dit :

« Pas un mot, entendez-vous bien, monsieur ? pas un seul mot. Tout vertueux que vous êtes, vous n’êtes pas un ange, après tout, pour vous permettre d’entrer chez les gens bon gré, mal gré, et leur ouvrir, quoi qu’ils en aient, les oreilles pour vous écouter. Prêchez à la muraille, si cela vous amuse, je vous le répète, mais à moi, non.

— Je ne suis pas un ange, Dieu le sait, répondit le frère Charles secouant la tête, je ne suis qu’un homme, avec mes erreurs et mes défauts ; mais il y a une qualité que tout le monde peut avoir, en communauté avec les anges, l’occasion heureuse d’exercer, quand ils le veulent,… la charité. C’est elle