Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/398

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aux yeux de son visiteur une figure jaune comme de la cire, un nez rouge comme du vermillon, une barbe de hérisson, avec enjolivement d’un mouchoir blanc sale, tâché de sang, sur la tête, et noué sous le menton, il se mit à regarder Ralph fixement dans un silence morne, jusqu’à ce qu’il lâcha la bride à ses sentiments, en ces termes énergiques :

« Eh bien ! mon beau monsieur, vous venez voir votre ouvrage ; car c’est bien vous qui avez tout fait !

— Qu’est-ce que vous avez donc à la tête ? demanda Ralph.

— Vous le demandez ? Ne savez-vous pas bien que c’est votre homme, votre espion, votre janissaire, qui est venu me la casser ? répondit Squeers d’un air de reproche. Ah ! ce que j’ai ? Vous venez un peu tard pour me le demander.

— Pourquoi ne m’avez-vous pas envoyé chercher ? dit Ralph. Comment vouliez-vous que je vienne plus tôt, si je n’étais pas prévenu de ce qui vous était arrivé ?

— Ma famille ! s’écria M. Squeers avec de hoquets, en levant les yeux sur le plafond. Ma fille ! à un âge où toute la sensibilité s’exalte à la fois. Mon fils, le jeune héros de la maison, l’ornement et l’orgueil de son village ravi ! en voilà un coup porté à ma famille ! Le manteau d’armes du blason des Squeers est en pièces ; leur soleil est descendu pour s’éteindre dans les flots de l’Océan !

— Vous venez de boire, dit Ralph, et vous n’avez pas encore cuvé votre vin.

— Je ne viens toujours pas de boire à votre santé, vieux grippe-sou ! répliqua M. Squeers. Ainsi vous n’avez rien à y voir. »

Ralph réprima l’indignation qu’éveillait dans son âme l’insolence inaccoutumée du maître d’école, et lui demanda une seconde fois pourquoi il ne l’avait pas envoyé chercher.

« Et qu’est-ce que j’y aurais gagné ? répondit Squeers ; cela ne me ferait pas grand bien de leur apprendre que j’ai l’honneur de votre connaissance, et ils ne voudraient pas me relâcher sans caution, avant plus ample informé. En attendant, me voilà ici serré, bel et bien, pendant que vous voilà là-bas libre et à votre aise.

— Comme vous le serez aussi sous peu de jours, repartit Ralph avec une gaieté feinte. Ils ne peuvent pas vous faire de mal, vous sentez.

— En effet, répliqua l’autre avec colère, je suppose qu’ils ne peuvent pas me faire de mal, si je leur explique comment il s’est fait que je me suis trouvé dans l’excellente compagnie de ce vieux cadavre de Sliderskew, que j’aurais voulu voir morte et