Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/407

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beau-frère était très malade et dépérissait de jour en jour, se garda bien d’aller jamais visiter son enfant, pour éviter tout soupçon. Le frère traînait toujours, et la femme de M. Nickleby pressait instamment son mari de déclarer leur mariage, mais elle ne fut accueillie que par un refus péremptoire. Elle restait donc seule dans une maison de campagne fort triste, ne voyant, pour ainsi dire, personne que quelques chasseurs qui venaient s’enivrer là et faire du tapage. Lui, de son côté, il demeurait à Londres pour s’occuper de ses affaires. Il y eut naturellement des querelles, des récriminations ; enfin, il y avait déjà à peu près sept ans qu’ils étaient mariés, et n’avaient plus que quelques semaines à attendre pour voir mourir le frère, ce qui aurait arrangé tout, lorsqu’elle se fit enlever par un jeune homme et planta là son mari. »

Ici il fit une petite pause. Ralph ne bougea pas. Les frères firent signe à Brooker de continuer.

« Ce fut alors que je reçus de sa propre bouche la confidence de toutes ces circonstances. À dire vrai, c’était déjà le secret de la comédie, car il était connu du frère et de bien d’autres ; et, d’ailleurs, s’il m’en fit confidence, ce n’était que parce qu’il avait besoin de moi. Il se mit à la poursuite des fugitifs, on a dit que c’était pour tirer quelque argent du déshonneur de sa femme ; moi, je crois que c’était plutôt pour se porter à quelque vengeance violente, car, s’il est avare, il n’est pas moins vindicatif ; peut-être plus. Il ne put pas les retrouver, et la femme mourut bientôt après. Avant de partir pour ses recherches, je ne sais pas si c’est qu’il commençait à croire qu’il pourrait aimer l’enfant, ou si c’était seulement pour éviter qu’il tombât jamais entre les mains de la mère ; toujours est-il qu’il me chargea de le ramener chez lui, ce que je fis. »

Brooker prit ici, jusqu’à la fin de son récit, un ton plus humble, et baissa la voix.

« Cet homme, continua-t-il en montrant Ralph, avait mal agi avec moi ; il m’avait traité cruellement : je lui en ai dit deux mots il n’y a pas longtemps, quand je l’ai rencontré dans la rue ; aussi je le haïssais. J’amenai donc l’enfant chez lui et je le logeai dans le grenier sur le devant. Négligé, comme il avait toujours été, il était maladif, et je fus obligé d’appeler un médecin qui déclara qu’il fallait le changer d’air, si on ne voulait pas qu’il mourût. Je crois que c’est là ce qui m’a donné la première idée de faire ce que j’ai fait. M. Nickleby fit un voyage de six semaines. À son retour, je lui annonçai, en appuyant mon dire de preuves apparentes et circonstanciées, que l’enfant était