Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/415

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nous partagions nos jeux folâtres. Eh bien ! il nous semblera que nous sommes seulement au lendemain, lorsque, reportant en arrière notre pensée vers ces chagrins d’aujourd’hui, comme nous les reportons à présent vers notre enfance, nous nous rappellerons, avec une mélancolie qui ne sera pas sans charme, la peine qu’ils ont pu nous causer. Qui sait si, devenus alors de bonnes vieilles gens, devisant du passé où nous avions le pied plus alerte et la tête moins chenue, nous n’irons pas jusqu’à nous féliciter de ces épreuves qui auront augmenté notre tendresse réciproque et rendu notre vie à ce courant paisible et tranquille où nous aurons été entraînés doucement ? Qui sait si nous ne verrons pas les jeunes gens d’alors, comme nous le sommes aujourd’hui, devinant quelque chose de notre histoire, nous montrer de la sympathie, et venir confier à l’oreille discrète du vieux célibataire et de sa vieille sœur, des peines de cœur qui pèseront sur leur inexpérience, tour à tour pleine de crainte et d’espérance. »

Au milieu de ses pleurs, Catherine ne put refuser un sourire à ce tableau de leur vieillesse, et ses pleurs semblèrent moins amers en tombant le long de ses joues.

« N’ai-je pas raison, Catherine ? dit-il après un court silence.

— Oui, vous avez raison, mon cher frère, et je ne puis vous dire combien je me sens heureuse d’avoir fait ce que vous m’auriez conseillé de faire.

— Vous n’en avez pas de regret ?

— N…o…n, dit Catherine d’une voix timide, en traçant sur le parquet, avec son petit pied, quelque figure incohérente, je n’ai point de regret, sans doute, d’avoir fait ce que me commandaient l’honneur et le devoir, mais je regrette d’y avoir été obligée, du moins je le regrette quelquefois, et quelquefois je… Tenez ! je ne sais plus ce que je veux dire. Je ne suis qu’une pauvre fille, Nicolas, pardonnez-moi d’avoir été très agitée. »

Ce n’est pas trop dire que d’assurer que, si Nicolas eût eu dans la main trois cent mille francs, il aurait, sur-le-champ, dans son affection généreuse pour la jeune fille aux joues rougissantes, aux yeux baissés vers la terre, sacrifié jusqu’à son dernier liard, pour assurer son bonheur, sans songer au sien. Malheureusement il n’avait, pour la consoler et ranimer son courage, que des paroles bonnes et tendres ; mais elles étaient si bonnes et si tendres, si pleines d’amour et d’encouragement, que la pauvre Catherine jeta ses bras à son cou, en lui promettant de ne plus verser une larme.

« Quel homme, se disait Nicolas avec orgueil, en s’en allant