Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/418

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’écria le frère Charles en fermant la porte et revenant vers Nicolas. Il sera ravi de vous revoir, mon cher monsieur ; il ne se passait pas de jour, sans qu’on parlât ici de vous.

— Pour vous dire la vérité, monsieur, je suis bien aise de vous trouver seul, dit Nicolas avec une hésitation bien naturelle, car je suis impatient de vous dire quelque chose. Pourriez-vous m’accorder quelques minutes ?

— Certainement, certainement, répondit le frère Charles en le regardant d’un air embarrassé. Parlez, mon cher monsieur, parlez.

— Je ne sais vraiment comment ni par où commencer. Si jamais mortel a eu des raisons de se sentir pénétré d’amour et de respect pour un autre, d’éprouver pour lui un attachement qui lui ferait du dévouement le plus pénible un plaisir et une grâce, de lui conserver un souvenir de reconnaissance égal à son zèle et à sa fidélité, ce sont là des sentiments que je dois avoir et que j’ai pour vous en effet, de tout mon cœur et de toute mon âme, vous pouvez le croire.

— Je le crois, reprit le vieux gentleman, et je suis heureux de le croire. Je n’en ai jamais douté ; je n’en douterai jamais, soyez-en sûr.

— La bonté que vous avez de me le dire m’encourage à continuer. La première fois que vous m’avez chargé d’une mission de confiance auprès de Mlle Bray, j’aurais dû vous dire que je l’avais déjà vue longtemps auparavant ; que sa beauté avait produit sur moi une impression ineffaçable, et que j’avais fait des efforts inutiles pour la retrouver et la connaître. Si je ne vous en ai pas parlé c’est que j’avais espéré, mais vainement, pouvoir vaincre cette faiblesse et subordonner toute autre considération à mon devoir envers vous.

— Monsieur Nickleby, dit le frère Charles, vous n’avez pas trahi la confiance que j’avais placée en vous, et vous n’en avez pas abusé pour en tirer avantage. Je sais bien que non.

— Non, dit Nicolas avec fermeté, je ne l’ai pas fait. Tout en éprouvant que la nécessité de me dominer et de me contraindre devenait de jour en jour plus pressante et plus difficile, jamais je ne me suis permis une parole ou un regard que j’eusse dû désavouer, si vous aviez été là. Mais je sens qu’une société constante, une compagnie de tous les jours avec cette charmante demoiselle, deviendraient fatales à ma tranquillité, et finiraient par triompher des résolutions que j’ai prises dès le début, que j’ai fidèlement gardées jusqu’à ce jour. En un mot, monsieur, je ne peux m’en fier à moi-même, et je viens vous prier avec