Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/423

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serrure. En entrant dans le corridor, il lui sembla qu’en la fermant, il mettait une dernière barrière entre le monde et lui. Il ne la poussa pas moins avec un grand bruit ; il n’y avait pas de lumière. Comme tout lui parut triste, froid et silencieux !

Tremblant des pieds à la tête, il monta dans la chambre où nous l’avons déjà vu si troublé. Il s’était bien promis de ne pas penser à ce qui venait d’arriver, avant d’être rentré chez lui. Maintenant qu’il y était, il fallut bien y réfléchir.

Son fils unique ! — son unique enfant ! Il n’avait pas eu l’ombre d’un doute sur l’exactitude du récit de Brooker. Il sentait que c’était vrai. Il en reconnaissait tous les détails, comme s’il y avait assisté tout du long. Son unique enfant ! et il était mort ! mort aux côtés de Nicolas — plein d’affection, d’amour pour lui, et le regardant comme un ange protecteur ! C’est ce qui lui faisait le plus de chagrin.

Tout le monde venait de lui tourner le dos et de l’abandonner au moment où il avait le plus besoin d’appui. Son argent même n’avait plus de prise sur eux. Tout va éclater au vu et au su de tout le monde. Et puis encore ce jeune lord tué en duel, son faux ami parti à l’étranger et soustrait à ses poursuites ; ses trois cent mille francs perdus d’un coup ; son complot avec Gride, déjoué au moment même du succès, ses autres plans dévoilés, sa sûreté compromise, son malheureux fils maudissant en mourant son persécuteur, son père, et bénissant Nicolas. Tout s’écroulait à la fois, et l’engloutissait sous des ruines qui l’écrasaient dans la poussière.

Quand il aurait su que son fils était vivant ; quand la ruse infernale de Brooker ne l’aurait pas empêché de le voir grandir chez lui, sous ses yeux, il sentait bien que, selon tout apparence, il n’aurait jamais fait qu’un père négligent, indifférent, rude, dur. Mais il lui venait aussi à l’idée que peut-être il aurait changé, que son fils aurait pu être pour lui une douceur dans sa maison, et qu’ils auraient pu vivre heureux ensemble. Il commençait à penser que la mort supposée de cet enfant et la fuite de la mère avaient pu contribuer à le rendre morose et sec comme il était. Il croyait se rappeler un temps où il était bien loin d’être si roide et si endurci. Il n’était pas éloigné de l’idée que ce qui lui avait fait tout d’abord haïr Nicolas, ç’avait été de le voir jeune et brillant, comme le séducteur qui, en lui ravissant sa femme, avait porté chez lui le déshonneur et détruit ses premiers rêves de fortune.

Mais, qu’était-ce qu’une pensée de tendresse ou un regret de pur instinct dans le tourbillon de sa colère et de ses remords ?