Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/433

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naître nos sentiments, mais, maintenant que vous les connaissez, monsieur, vous devez faire ce qu’on vous dit. Comment ! n’êtes-vous pas les enfants d’un digne gentleman ? Il a été un temps, monsieur, où mon cher frère et moi, nous n’étions que deux pauvres petits garçons, allant à l’aventure, presque nu-pieds, chercher fortune. Que sommes-nous de plus aujourd’hui, sauf les années et une position plus avantageuse dans le monde ? Nous n’avons pas changé. Non, non, Dieu merci !… Ah ! Ned, Ned, quel heureux jour pour vous et pour moi ! Si notre pauvre mère était seulement encore de ce monde pour nous voir à présent, frère Ned, quelle joie pour sa chère âme, comme elle eût été fière de ses enfants ! »

Le frère Ned, qui venait d’entrer avec Mme Nickleby, sans être aperçu par les deux jeunes gens, répondit à cet appel en courant serrer tendrement son frère Charles dans ses bras.

« Amenez-moi ma petite Catherine, dit celui-ci après un moment de silence. Amenez-la moi, frère Ned. Que je la voie, cette chère Catherine, que je l’embrasse. J’en ai le droit maintenant. J’en avais déjà bien envie la première fois qu’elle est venue : je me suis retenu vingt fois… Ah ! Eh bien ! mon petit colibri, n’avez-vous pas trouvé la lettre ? N’avez-vous pas trouvé plutôt Madeleine elle-même qui était là à vous attendre et à vous espérer ? N’avez-vous pas reconnu qu’elle n’avait pas oublié tout à fait son amie, sa garde-malade, sa douce compagne ? Mais que je vous embrasse ; voilà le meilleur de la chose.

— Laissez donc, mon frère, laissez donc, dit Ned, vous allez rendre Frank jaloux comme un tigre, et il faudra vous couper la gorge avec lui avant le dîner ; la belle affaire !

— En ce cas, Ned, qu’il l’emmène, qu’il l’emmène ! Madeleine est dans la chambre voisine : que tous les amoureux nous laissent tranquilles, qu’ils aillent causer ensemble de l’autre côté, s’ils ont quelque chose à se dire. Mettez-les dehors, Ned, tous. »

Et le frère Charles commença l’exécution en conduisant à la porte la jeune fille confuse, et en la congédiant avec un baiser. Frank ne se le fit pas dire deux fois pour la suivre. Quant à Nicolas, c’était lui qui avait ouvert la marche. Il ne resta donc plus que Mme Nickleby et miss la Creevy, qui sanglotaient à qui mieux mieux, les deux frères et Tim Linkinwater, qui circulait à la ronde distribuant à tout le monde de joyeuses poignées de main, sa ronde face toute rayonnante et pleine de sourires.

« Eh bien ! M. Tim Linkinwater, dit le frère Charles, qui