Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/44

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son pour m’assurer que les portes étaient fermées et les feux éteints ; je n’ai pas découché une seule fois de ma mansarde sur le derrière. Voici là, au milieu de la fenêtre, la même caisse de réséda avec les mêmes pots à fleurs, deux de chaque côté, que j’ai apportés avec moi en entrant ici. Il n’y a pas, je l’ai toujours dit et je le dirai toujours ; non, il n’y a pas dans le monde un square comme celui-ci. Quand je vous dis qu’il n’y en a pas, continua Timothée avec un redoublement d’énergie et un sérieux risible, c’est qu’il n’y en a pas. Pour le plaisir comme pour les affaires, en hiver comme en été, peu m’importe, il n’y a rien de pareil. Il n’y a pas dans toute l’Angleterre une fontaine aussi belle que la pompe de la cour ; il n’y a pas dans toute l’Angleterre une si belle vue que la vue de ma fenêtre ; tous les matins j’en ai joui avant de me faire la barbe, et par conséquent je dois la connaître. Voilà la chambre, ajouta Timothée dont l’émotion altérait un peu la voix, où j’ai couché quarante-quatre ans ; et, si cela ne vous gênait pas et ne dérangeait en rien vos affaires, c’est là que je voudrais mourir avec votre permission.

— Diantre de Tim Linkinwater ! Ne voilà-t-il pas qu’il parle de mourir, crièrent à la fois, comme de concert, les deux jumeaux en se mouchant avec violence.

— Voilà ce que j’avais à vous dire, monsieur Edwin et monsieur Charles, dit Timothée en reprenant sa pose majestueuse ; ce n’est pas la première fois que vous me parlez de me mettre à la retraite, mais que ce soit la dernière fois, je vous prie, et qu’il n’en soit plus jamais question. »

Là-dessus Tim Linkinwater se retira fièrement pour se renfermer dans sa cage de verre, de l’air d’un homme qui leur avait dit leur fait, et qui était fermement résolu à n’en rien rabattre.

Les frères échangèrent quelques coups d’œil et toussèrent une douzaine de fois avant de dire mot.

« Cela n’empêche pas, frère Ned, reprit l’autre avec chaleur, qu’il faut lui faire prendre un parti ; tant pis pour ses vieux scrupules, cela devient insupportable.

— Il aura beau dire, nous en ferons notre associé, frère Ned, et, s’il ne veut pas se rendre à l’amiable, nous l’y forcerons par la violence.

— Vous avez bien raison, répliqua l’autre frère secouant la tête comme un homme bien décidé, vous avez bien raison, mon cher frère ; s’il ne veut pas entendre raison, eh bien ! nous le ferons malgré lui, et nous lui montrerons que nous savons faire respecter notre autorité ; nous aurons une querelle avec lui, frère Charles.