Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/45

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— Oui, certainement, nous l’aurons, dit l’autre. Nous aurons une querelle avec Tim Linkinwater. Mais, en attendant, mon cher frère, nous retenons là notre jeune ami, pendant que sa pauvre mère et sa sœur sont peut-être inquiètes de ne pas le voir revenir. Souhaitons-lui le bonjour pour le moment ; et, tenez, mon cher monsieur, ne perdez pas cette petite boîte ; et… non, non, pas un mot de remerciement, prenez garde seulement dans les rues en passant dans la foule. »

Et les deux frères se dépêchèrent de lui ouvrir la porte, tout en l’ahurissant par des paroles décousues et sans suite, comme celles-là, pour arrêter l’expression de sa reconnaissance, lui donnant des poignées de main tout le long du chemin en le reconduisant, et feignant avec très peu de succès, car ils n’étaient pas très habiles à feindre, de ne pas du tout s’apercevoir des sentiments auxquels il était en proie.

Nicolas, en effet, avait le cœur trop plein pour se montrer au dehors avant de s’être un peu remis ; enfin, il quitta le coin de la porte dans lequel il s’était tenu caché pour dominer son émotion, et il surprit, en se glissant dans la rue, les yeux des deux frères qui le regardaient à la dérobée dans un coin de la cage de verre où sans doute ils délibéraient s’ils poursuivraient sans délai l’assaut livré à Tim Linkinwater, ou si, devant une si belle défense, ils lèveraient le siège pour le moment.

De raconter le bonheur et la surprise qui vinrent animer la vivacité de miss la Creevy au récit de cette aventure, de décrire tout ce qui fut, en conséquence, ou fait, ou dit, ou pensé, ou espéré, ou prophétisé, ce serait dépasser les bornes de notre cadre et ralentir notre marche. Disons seulement, en peu de mots, que M. Timothée Linkinwater arriva à l’heure exacte de son rendez-vous ; que, malgré son originalité, malgré le soin jaloux avec lequel il veillait à ce que la libéralité sans bornes de ses patrons ne fût pas mal placée, il crut devoir leur faire sur Nicolas le rapport le plus favorable, et que, dès le lendemain, le jeune aspirant fut nommé au siège vacant dans le comptoir des frères Cheeryble, aux appointements de mille écus par an.

« Eh, qu’en dites-vous, cher frère, dit le premier protecteur de Nicolas, si nous leur louions ce petit cottage de Bow, maintenant vacant, à un prix un peu moins élevé que le prix ordinaire. Hein ! frère Ned ?

— Gratis même, dit le frère Ned. Nous sommes riches, et franchement ce serait une honte de toucher d’eux le prix d’un loyer dans l’état où ils sont. Logeons-les pour rien du tout, mon cher frère, pour rien du tout.