Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/58

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sur les piques en fer qui couronnent la grille poudreuse des sous-sols.

Mais, s’il n’y avait pas au dehors de grands sujets de distraction ou d’observation pour Nicolas chez les frères Cheeryble, il n’en manquait pas au-dedans pour l’amuser et l’intéresser vivement. Là, il ne se trouvait presque pas un objet, animé ou inanimé, qui ne rappelât pour sa part la méthode scrupuleuse et l’exactitude parfaite de M. Timothée Linkinwater. Aussi ponctuel que la pendule du bureau, le meilleur régulateur de Londres, selon lui, après l’horloge d’une vieille église inconnue, cachée dans un coin, près de là (car Timothée ne voulait pas croire à la perfection tant vantée de l’horloge des Horse-guards, il la regardait comme une fiction ridicule inventée par la jalousie des beaux messieurs de ce quartier élégant), le vieux caissier observait dans le retour des plus minces travaux du jour, comme dans l’arrangement des plus minces objets de son petit cabinet, un ordre précis et régulier. C’eût été réellement une cage de verre destinée à recouvrir des curiosités de prix qu’elle n’eût pas été mieux rangée. Le papier, les plumes, l’encre, la règle, les pains à cacheter, la cire, la poudrière, le peloton de fil, la boîte d’allumettes, le chapeau de Timothée, les gants de Timothée pliés avec un soin scrupuleux, l’habit numéro un de Timothée pendu au mur comme un autre lui-même, tout avait sa place fixe, mesurée à un pouce près. Après la pendule incomparable, il n’y avait pas au monde un instrument aussi sûr, aussi irréprochable que le petit thermomètre accroché derrière la porte. Il n’y avait pas non plus dans tout l’univers un oiseau qui eût des habitudes aussi méthodiques, aussi régulières que le merle aveugle qui passait là sa vie à rêver et à sommeiller dans une bonne grande cage ; malheureusement il avait perdu la voix, par suite de son grand âge, bien des années avant que Timothée en eût fait l’emplette. Il n’y avait pas dans tous les recueils d’anecdotes une histoire aussi intéressante que celle de l’acquisition qu’en avait faite Timothée. Il fallait l’entendre raconter comment, par compassion pour les souffrances de cet oiseau presque mort d’inanition, il l’avait acheté dans l’intention charitable de terminer sa malheureuse existence ; comment il avait pris le parti d’attendre trois jours pour voir si ce petit meurt-de-faim reviendrait à l’existence ; comment, au bout de vingt-quatre heures, il avait donné signe de vie ; comment il se ranima, reprit son appétit et sa bonne mine, petit à petit, au point de devenir, qui l’eût cru ! « tel que vous le voyez, monsieur, » disait Timothée en jetant avec orgueil un coup