Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/74

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niaise pour ne pas savoir distinguer si un homme parle pour de rire ou pour de bon ?

— Bien ! bien ! murmura Nicolas.

— Chaque fois que je me mets à la fenêtre il m’envoie des baisers d’une main et place l’autre sur son cœur ; je sais bien que c’est très ridicule de sa part, et je ne doute pas que vous le trouviez très mauvais, mais je dois dire qu’il le fait d’une manière respectueuse, très respectueuse, et très tendre même, extrêmement tendre. Pour ce qui est de cela, il n’y a rien qui ne lui fasse beaucoup d’honneur. Et puis enfin, tous ces cadeaux qu’il fait pleuvoir pour moi toute la journée par-dessus le mur, ils sont vraiment d’une très belle qualité. Hier encore, nous avons mangé un de ses concombres à dîner, et nous allons confire les autres pour l’hiver prochain. Enfin, hier au soir, continua Mme Nickleby avec une confusion toujours croissante, pendant que je me promenais dans le jardin, il est venu doucement passer la tête par-dessus le mur pour me proposer de m’enlever et de m’épouser après. Il a la voix aussi claire qu’une cloche ou qu’un harmonica, tout à fait une voix d’harmonica ; malgré cela, je n’ai pas voulu l’écouter. Ainsi, mon cher Nicolas, vous le voyez, que dois-je faire ? c’est là toute la question.

— Catherine a-t-elle entendu parler de cela ? demanda Nicolas.

— Je ne lui en ai pas encore ouvert la bouche.

— Alors, au nom du ciel ! répondit Nicolas en se levant, ne lui en parlez pas, elle en aurait trop de chagrin. Quant à ce que vous avez à faire, ma chère mère, c’est bien simple ; vous n’avez qu’à suivre les inspirations de votre bon sens et de votre bon cœur, en vous rappelant toujours avec respect la mémoire de mon père. Vous avez mille moyens de faire éclater votre dégoût pour ces attentions imbéciles. Montrez-vous ferme, et, si elles se renouvellent, je saurai bien y mettre promptement un terme, quoique je préférasse ne pas avoir à intervenir dans une affaire si ridicule, où il vous suffira de vous faire respecter vous-même. C’est ce que les femmes font tous les jours, surtout à votre âge et dans votre condition, quand elles se trouvent en face de circonstances qui ne méritent pas plus que celle-ci d’occuper leur esprit. Je voudrais bien ne pas vous donner le désagrément de paraître prendre la chose à cœur et de la traiter sérieusement, ne fût-ce qu’un moment. Vieux stupide, va ! faut-il être idiot ! »

En disant ces mots, Nicolas embrassa sa mère, lui souhaita une bonne nuit, et tous deux se retirèrent dans leur chambre.