Page:Dickens - Olivier Twist.djvu/265

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position que le monde appelle heureuse, si une existence paisible et obscure m’eût été réservée, si j’avais été pauvre, faible, sans amis, m’auriez-vous éloigné de vous ? Est-ce la perspective des richesses et des honneurs qui m’attendent peut-être, qui fait naître en vous ces scrupules sur votre naissance ?

— Ne me forcez pas de répondre à cela, répliqua Rose ; là n’est pas la question ; ce serait mal à vous d’insister.

— Si votre réponse est telle que j’ose presque l’espérer, répondit Henry, elle fera luire sur ma vie un rayon de bonheur. Est-ce donc si peu de chose que de faire tant de bien, avec quelques mots seulement, à quelqu’un qui vous aime par-dessus tout ? Ô Rose ! au nom de mon ardente et durable affection, par tout ce que j’ai souffert pour vous, par tout ce que vous me condamnez à souffrir, je vous en conjure, répondez seulement à cette question.

— Eh bien ! si votre destinée eût été différente, dit Rose ; si vous aviez été même un peu, mais non pas tant, au-dessus de moi ; si j’avais pu me flatter d’être pour vous un soutien, un appui dans une position paisible et retirée, mais non au milieu des pompes et des splendeurs du monde, je ne me serais pas condamnée à cette épreuve. J’ai tout lieu d’être heureuse, très heureuse, maintenant ; mais alors, Henry, j’avoue que j’aurais été plus heureuse encore. »

Les souvenirs, les espérances d’autrefois, qu’elle avait si longtemps caressées, se pressaient dans l’esprit de Rose en faisant cet aveu ; elle fondit en larmes, comme il arrive toujours quand on voit s’évanouir une vieille espérance, et les larmes la soulagèrent.

« Je ne puis triompher de cette faiblesse, et elle ne fait que m’affermir dans ma résolution, dit Rose en lui tendant la main. Maintenant, il faut décidément nous quitter.

— Je vous demande une promesse, dit Henri. Une fois, une seule fois encore, dans un an ou peut-être beaucoup plus tôt, laissez-moi traiter encore avec vous ce sujet ; ce sera pour la dernière fois.

— Vous n’insisterez pas pour me faire changer de résolution, répondit Rose avec un mélancolique sourire ; ce serait peine perdue.

— Non, dit Henry ; vous me la répéterez si vous voulez, vous me la répéterez d’une manière définitive. Je mettrai à vos pieds ma position et ma fortune, et, si vous persévérez dans vo-