Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/171

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place, étendit ses mains sur ses genoux, et sourit à ses trois compagnes de route.

Cependant ses filles, moins résignées, s’abandonnèrent au torrent de leur indignation. « Voilà ce que c’est, disaient-elles, que de montrer de la bienveillance à des créatures telles que les Pinch ! Voilà ce que c’est que de s’abaisser pour se mettre à leur niveau ! Voilà ce que c’est que de se donner l’humiliation d’avoir l’air de connaître des jeunes personnes aussi effrontées, hardies, rusées et désagréables que celle-là ! » Elles s’y étaient bien attendues. Le matin même, elles l’avaient prédit à Mme Todgers, qui pouvait en rendre témoignage. Le propriétaire de la maison, en les prenant pour des amis de Mlle Pinch, les avait traités en conséquence. Il ne pouvait pas faire autrement : ce n’était que trop juste. À quoi elles ajoutèrent (par une petite contradiction) qu’il fallait que cet homme fût une brute et un ours mal léché ; et alors elles fondirent en un déluge de larmes qui roula dans ses flots toutes les épithètes les plus violentes.

Peut-être miss Pinch était-elle bien plus innocente de toute cette mésaventure que le petit chérubin qui, sitôt après le départ des visiteurs, s’était hâté d’aller faire son rapport au quartier général, en racontant tout au long comme quoi ces étrangers avaient eu l’audace de la charger du message qu’ils avaient confié ensuite au valet de pied : outrecuidance qui, jointe aux remarques déplacées de M. Pecksniff sur la maison, pouvait avoir contribué à l’expulsion un peu brusque des visiteurs. La pauvre miss Pinch, cependant, eut à supporter le feu de deux camps : car la mère du séraphin la gronda si durement pour avoir des connaissances si vulgaires, que la sœur de Tom ne put que se réfugier toute en pleurs dans sa chambre, sans trouver dans sa cordialité naturelle et sa soumission, ni dans le plaisir d’avoir vu M. Pecksniff et reçu une lettre de son frère, un remède suffisant contre son chagrin.

Quant à M. Pecksniff, il leur dit dans la citadine qu’une bonne action porte en soi sa récompense, et il leur donna même à entendre que, loin de s’en repentir, il regrettait presque qu’on ne l’eût pas mis à la porte à coups de pied dans le derrière : il n’en aurait que plus de mérite. Mais, il avait beau dire, les jeunes demoiselles, loin d’admettre cette consolation, ne cessèrent de jeter des cris furieux durant tout le retour, et même elles laissèrent percer une ou deux fois le