Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/177

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ser très-gaiement le temps, jusqu’à ce qu’enfin Bailey junior annonça le dîner en ces termes :

« Les vivres sont servis ! »

À ce signal, tout le monde descendit aussitôt à la salle du festin. Quelques-uns des plus facétieux, parmi ceux qui fermaient la marche, prirent sous le bras des gentlemen en guise de dames, pour parodier la bonne fortune des deux cavaliers des demoiselles Pecksniff.

M. Pecksniff dit les grâces, une courte et pieuse prière pour invoquer la bénédiction céleste en faveur de l’appétit des convives, et recommander aux soins de la Providence les infortunés qui n’ont pas de quoi manger, l’affaire de la Providence étant de s’occuper d’eux, à ce que disait la prière. Ensuite, ils se mirent à dîner avec moins de cérémonie que d’appétit. La table ployait sous le poids, non-seulement des mets délicats annoncés d’avance aux demoiselles Pecksniff par le jeune concierge, mais encore du bœuf bouilli, du veau rôti, du lard, des pâtés, et d’une quantité de ces légumes nutritifs que les maîtres de pensions bourgeoises connaissent et estiment pour leurs qualités utiles. En outre, il y avait de nombreuses bouteilles de bière forte, de vin, d’ale et d’autres sortes de boissons excitantes, exotiques ou indigènes.

Tout cela était fort agréable aux deux demoiselles Pecksniff, qui, assises chacune au bout de la table, à la droite et à la gauche de M. Jinkins, se voyaient l’objet de tous les hommages, et qui, de minute en minute, étaient invitées par quelque nouvel admirateur à vouloir bien accepter une santé. Jamais elles n’avaient été si gaies et si animées dans la conversation. Mercy, pour sa part, brillait d’un incomparable éclat, et elle disait tant de belles choses dans ses vives réparties, qu’on s’accordait à la considérer comme un prodige. En résumé, ainsi que le dit cette jeune personne, « elles voyaient bien enfin, sa sœur et elle, qu’elles étaient à Londres. »

Leur ami Bailey s’associait pleinement aux sentiments des deux demoiselles Pecksniff ; et, fidèle à son rôle protecteur, il donnait à leur appétit tous les encouragements possibles. Quand il pouvait le faire sans attirer l’attention générale, il avait soin de régaler ses jeunes amies de mouvements de tête, de clignements d’yeux et autres signes d’intimité, et de temps en temps il se grattait le nez avec un tire-bouchon, emblème des présentes bacchanales ; et vraiment la verve spi-