Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/265

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sous les yeux de Pecksniff) pour le prier de lui adresser à Londres, par la diligence, ses effets bureau restant où il irait les réclamer. Une fois ces mesures prises, il employa les trois jours que la malle devait mettre à arriver, à prendre des informations sur les vaisseaux en destination pour l’Amérique, dans tous les offices des agents maritimes de la Cité ; à rôder dans les docks et les débarcadères, avec un vague espoir de trouver quelque engagement pour le voyage en qualité de commis, de subrécargue, ou de surveillant de n’importe qui ou n’importe quoi, pour payer ainsi le passage. Mais n’ayant pas tardé à reconnaître qu’il n’y avait pas apparence que ces sortes d’emplois vinssent s’offrir d’eux-mêmes, et craignant les conséquences d’un plus long retard, il rédigea un petit avis concernant l’objet de sa demande et le publia dans les principaux journaux. En attendant les vingt ou trente réponses sur lesquelles il comptait vaguement, il réduisit sa garde-robe aux plus étroites limites commandées par le convenances, et finit par porter, en différentes visites, le surplus de son trousseau à la maison de prêt, pour le convertir en argent.

Chose étrange, tout à fait étrange, même à ses propres yeux : il s’aperçut que par degrés rapides, bien qu’imperceptibles, il avait perdu sa délicatesse, le respect de sa propre dignité, et qu’il en était venu peu à peu à faire comme une chose toute simple, et sans la moindre vergogne, une démarche qui, quelques jours auparavant, lui avait tant coûté. La première fois qu’il était entré chez le prêteur sur gages, il lui semblait en route que tous les passants soupçonnaient où il allait ; et au retour, il s’imaginait que tout ce flux humain qu’il rencontrait savait d’où il venait. À présent, il ne s’inquiétait seulement pas de ce qu’on pouvait en penser ! Dans ses premières excursions à travers les rues affairées, il se donnait l’air d’un homme qui a son but devant lui ; mais bientôt il adopta cette attitude de flânerie, ce pas traînant de la paresse insouciante, cette habitude de stationner au coin des rues, de ramasser et de mâcher des brins de paille épars, d’arpenter de çà et de là la même place et de regarder aux vitrines des mêmes boutiques cinquante fois par jour avec la même indifférence. Au commencement, lorsqu’il sortait de chez lui, il éprouvait le matin, en mettant le pied hors de son misérable hôtel, la crainte d’être aperçu des passants inconnus qu’il n’avait jamais vus, et qu’il ne reverrait probablement jamais ; mais à présent, dans