Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/266

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ses allées et venues, il ne rougissait pas de se tenir devant la porte ou de rester à se chauffer au soleil à côté du poteau hérissé du haut en bas de chevilles sur lesquelles se dandinaient les cruchons vides, comme autant de rameaux de l’arbre porte-étain. Et cependant il ne lui avait pas fallu plus de cinq semaines pour dégringoler de haut en bas tout le long de cette immense échelle !

Ô moralistes ! vous qui dissertez sur le bonheur et la dignité innés dans toutes les sphères de la vie, pour éclairer chaque grain de poussière sur la route du bon Dieu, sur cette route si douce sous la roue de vos chars, si rude pour des pieds nus, songez, en voyant la chute rapide de bien des hommes qui ont joui de leur propre estime, combien il y en a de milliers d’autres traînant leur vie pénible sous le poids de la fatigue et du travail, qui n’ont jamais eu l’occasion de savoir ce que c’est que ce respect salutaire de soi-même. Vous qui vous reposez si tranquillement sur le barde sacré qui avait été jeune avant d’accorder sa harpe sur ses vieux jours, et de chanter dans tout son enthousiasme lyrique qu’il n’avait jamais vu le juste méprisé ni les semailles perdues ; prêcheurs des plaisirs honnêtes que donne la dignité satisfaite, allez donc visiter la mine, le moulin de la fabrique, la forge, ces tristes profondeurs de la plus infime ignorance, ce dernier abîme du délaissement de l’humanité, et dites-nous s’il est possible que la plante la plus vigoureuse s’épanouisse dans un air tellement épais qu’il éteint le brillant flambeau de l’âme aussitôt qu’il s’allume ! Ô pharisiens du XIXe siècle de l’ère chrétienne, qui faites un appel si confiant à la nature humaine, veillez d’abord à ce qu’elle soit humaine. Prenez garde que, pendant votre léthargie, pendant le sommeil des générations, elle n’ait échangé sa nature première contre celle de la brute.

Cinq semaines ! Sur vingt ou trente réponses que Martin attendait, pas une n’était venue. Son argent diminuait à vue d’œil, y compris les ressources supplémentaires qu’il s’était procurées en mettant en gage ses vêtements de rechange, tristes ressources : car, si les habits coûtent cher à acheter, le prêteur n’en donne pas grand’chose. Qu’allait-il faire maintenant ? Parfois, dans un transport de désespoir, il s’élançait dehors, presque au moment où il venait de rentrer chez lui, pour retourner dans quelque endroit où il avait été déjà une vingtaine de fois, et faire de nouvelles tentatives, mais toujours aussi infructueuses. Il était beaucoup trop âgé pour s’en-